jeudi 9 juin 2022

 

JEUDI 09/06/2022 à 07H56 - Mis à jour à 08H38

 FOS-SUR-MER

Cancer, diabète, asthme... Les habitants de la zone de Fos malades de leurs usines

Une nouvelle étude pointe une santé dégradée localement

C'est la plus longue étude jamais menée autour de Fos : sept ans ont été nécessaires pour boucler Fos Epseal.


Sommes nous ici plus malades qu'ailleurs ?" Cette question a priori simple, posée un jour à la chercheuse américaine Barbara Allen par un habitant du pourtour de l'étang de Berre, est le point de départ de l'étude Fos Epseal. Ses conclusions définitives, dont nous avons eu connaissance en avant-première, seront détaillées ce soir à l'hôtel de ville de Fos-sur-Mer. L'occasion pour l'équipe de Barbara Allen (Johanna Lees, Yolaine Terrier, Alison Cohen, Marlène Lecour, Maxime Jeanjean, David Francfort) de revenir sur sept années d'investigations basées sur la méthode américaine "d'épidémiologie populaire", qui permet de croiser le témoignage de populations, premières expertes de leur propre santé, et celles des scientifiques (sociologues, toxicologues, médecins, etc.).

"Quand on est ici on sait qu'on va avoir un cancer mais on ne sait pas quand""Ici on ne meurt plus de mort naturelle, on meurt d'un cancer""Il n'y a personne qui n'est pas touché ici"... Au fil de leurs questionnaires, menés dans chaque rue de Fos-sur-Mer, Port Saint-Louis du Rhône puis Saint-Martin de Crau, les chercheurs ont pu constater "la présence ordinaire et répétée pour les habitants de la maladie et de la mort". Source de richesses pour le territoire, l'industrie est désormais aussi suspectée d'un lourd impact sur la santé des populations locales.

Il faut dire que la zone de Fos, avec plus de 400 installations industrielles, parmi lesquelles 58 sites Seveso, des raffineries de pétrole, des centres de stockage de gaz, des usines chimiques, métallurgiques, des dépôts pétroliers, des incinérateurs et des aciéries est l'une des plus importantes de France et même d'Europe. Sans compter que dans ce "laboratoire à ciel ouvert", les transports routier, aérien et maritime apportent eux aussi leur lot de polluants...

Oxydes d'azote (NOx), particules fines et ultrafines (PM et PUF), métaux lourds (plomb, arsenic, cadmium, chrome etc.), organochlorés (PCBs, PCDDs), hydrocarbures aromatiques polycycliques "présentent des risques pour la santé, en augmentant notamment les risques de pathologies respiratoires, cardiovasculaires, de cancers, de diabètes, de fertilité", rappellent les auteurs de l'étude Fos Epseal. À la suite de ses premiers résultats, publiés en 2019, un collectif s'est réuni afin de regrouper les plaintes individuelles (130) contre X pour "mise en danger d'autrui" auprès du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence. Seize riverains ont également assigné en justice les sociétés ArcelorMittal Méditerranée, les Dépôts pétroliers de Fos, Esso raffinage et Kem One pour "trouble anormal de voisinage" et déposé une plainte auprès du tribunal administratif contre l'État, pour "carence fautive dans son rôle de régulateur et de contrôleur" doit aussi être déposée.

Longtemps tabou, le sujet a aussi fini par mobiliser les autorités : en mars 2018, pour la première fois, l'État, par le biais de l'Agence régionale de santé Paca (ARS) reconnaissait ainsi que l'état sanitaire des habitants de la zone de Fos était "fragilisé" par la pollution. Dans ce contexte, l'objectif était selon Barbara Allen d'oeuvrer "dans le sens d'une forme de justice sociale et environnementale grâce à la production de savoirs et de connaissances". Même si "les méthodes d'estimation" et "les fenêtres de temps" n'étaient pas toujours "superposables" entre la méthodologie adoptée et d'autres études prises pour référence, "le travail qualitatif anthropologique issu de la présence prolongée" des chercheurs sur le terrain "corrobore les résultats quantitatifs" réunis qui "interrogent sur la violence ordinaire qu'implique le fait de vivre sur un front industriel", indique le rapport.

En interrogeant longuement et finement les habitants des trois villes, la prévalence de certaines pathologies semble en effet se confirmer dans cette zone d'intense activité industrielle : la part des personnes ayant eu au moins un cancer (de 10,6 %) est ainsi plus forte à Fos et Port Saint-Louis qu'à Saint-Martin de Crau (9,4 %) et qu'en France (6 %), tout particulièrement pour les femmes (14,5 % localement, contre 5,4 % en France); les diabètes, eux, sont présents pour 11,9 % de la population de Fos et Port Saint-Louis, contre 5,6 % dans le reste de la France. L'asthme concerne 15,8 % des répondants, contre 10,2 % des Français. Au final, 63,6 % des personnes interrogées localement présentent au moins une pathologie chronique (irritation des yeux, symptômes nez-gorge, maux de tête, problèmes de peau), contre 37 % au national.

Tous ces résultats, mais aussi les enseignements retirés de ces années d'enquête, seront détaillés ce soir de 18 à 21h à la mairie de Fos-sur-Mer.

 

 

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