Construire une nouvelle centrale nucléaire près de Marseille : pourquoi ce n’est pas impossible
Photomontage de réacteurs EPR à l'emplacement de la centrale thermique de Martigues - Ponteau / Révolution Énergétique.
Aménager une
nouvelle centrale nucléaire à quelques dizaines de kilomètres de Marseille ? «
Ce n’est pas une question absurde du tout » estimait Emmanuel Macron dans une
déclaration le 28 juin 2023. Le président de la République ouvrait ainsi la
voie à une réflexion plus poussée sur le sujet. Mais peut-on vraiment aménager
un site de production d’électricité nucléaire dans cette zone ? Un tel projet
serait-il pertinent ?
Le sud-est de
la France est une « péninsule électrique » : située à l’extrémité du réseau
électrique national, elle consomme beaucoup plus d’électricité qu’elle n’en
produit. Une configuration qui devient problématique avec l’électrification des
usages dans le cadre de la transition énergétique, pour l’industrie autant que
les particuliers.
Entre
raffineries de pétrole, usines chimiques, aciérie et centrales à gaz, la zone
industrialo-portuaire à l’ouest de Marseille est justement l’un
des sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France. Sa
décarbonation, via l’électrification, nécessiterait
jusqu’à 6 GW de puissance supplémentaire, selon RTE. Le gestionnaire du
réseau de transport d’électricité français prépare d’ailleurs la construction d’une
nouvelle ligne très haute tension de 400 kV aboutissant dans cette zone.
L’objectif de cette ligne est de renforcer la capacité de transmission de
courant vers ce croissant industriel long de 24 km qui s’étend de Martigues à
Port-Saint-Louis du Rhône en passant par Fos-sur-Mer. Une zone aujourd’hui
extrêmement dépendante des combustibles fossiles pour fonctionner.
La zone
industrialo-portuaire entre Martigues et Port-Saint-Louis du Rhône intègre
plusieurs centrales à gaz / Révolution Énergétique.
Un projet
vieux de cinquante ans
Derrière ce
projet, il y a une réalité : l’absence, à cet endroit, de centrale capable de
produire de très grandes quantités d’électricité bas-carbone en continu. Ce
n’est pas faute d’y avoir pensé. En 1974, l’État envisageait d’aménager une
centrale nucléaire à Martigues, dans le contexte du « plan
Messmer ». Le quartier de Ponteau, qui accueille depuis 1971 une centrale
au fioul (remplacée par une centrale au gaz en 2012), était privilégiée. « Le
site est prévu pour recevoir, soit en thermique, soit en nucléaire, une
extension de 3 500 à 4 000 MW […] » explique un
document d’EDF datant de 1972.
Le « rapport
d’Ornano », du nom du ministre de l’Industrie en poste à l’époque, évoque
également la possibilité de construire une centrale en région
Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Ce
document, qui explore le potentiel d’expansion du nucléaire civil en
France, envisage d’ailleurs l’aménagement de 30 à 40 centrales en France pour
une puissance totale ahurissante de 170 GW « installées à la fin du siècle ».
Finalement, le pays se contentera de 19 centrales pour 63 GW. Pour se faire une
idée des ordres de grandeur, le record absolu de consommation en France s’élève
à 102,1 GW, atteints le 8 février 2012.
Comme de
nombreux autres projets nucléaires en France, la centrale nucléaire de
Martigues n’a donc jamais été réalisée. Si les communes concernées s’y
étaient rapidement opposées à l’époque, l’État ne semble pas avoir insisté
pour mener l’idée à son terme. Mais après 50 ans de sommeil, le projet semble
refaire surface. Le 29 juin 2023, alors en visite à Marseille, Emmanuel Macron
évoquait le sujet à l’occasion d’un échange avec les acteurs du Grand port
maritime.
À
lire aussi Voici la carte des 6 futurs réacteurs nucléaires EPR prévus en
France 5https://www.revolution-energetique.com/voici-la-carte-des-6-futurs-reacteurs-nucleaires-epr-prevus-en-france/
La transition
énergétique ressuscite l’idée d’une centrale nucléaire près de Marseille
L’idée d’une
nouvelle centrale nucléaire dans la zone portuaire de Marseille-Fos « n’est
pas absurde du tout » lançait le président de la République. « Il
est nécessaire de se poser cette question sans tabou, car elle est là, il faut
regarder si l’ensemble du bassin économique est prêt à accueillir des tranches
et des centrales […] C’est un terrain qui a une vocation en la matière.
Pourquoi ? Parce qu’on sait qu’on a aussi un
immense sujet de refroidissement des centrales. Et les centrales à venir
auront vocation à être beaucoup plus près de la mer » lançait Emmanuel
Macron, qui estime que 4 EPR satisferaient aux besoins.
Suivant ces
déclarations, le président d’EDF Luc Rémont avait annoncé se pencher sur la
question. « Quand le président de la République s’exprime en disant qu’il
faut étudier quelque chose, naturellement, nous l’étudierons, évidemment
». « Il est souhaitable d’étudier d’autres sites que les sites existants
[…] pas forcément pour du très court terme et, j’ajouterais, pas
forcément pour des EPR » avait-il précisé à la presse.
Les contours
du projet de centrale nucléaire entre Fos et Martigues restent donc extrêmement
flous. Nous avons tenté d’interroger les maires des communes potentiellement
concernées : Port-Saint-Louis du Rhône, Fos-sur-Mer et Martigues, mais aucun
élu n’a souhaité s’exprimer sur le sujet, manifestement délicat. Le parc
naturel régional de Camargue, voisin immédiat, et le Grand port maritime n’ont
pas non plus répondu favorablement à nos demandes d’interview. Le maire de
Marseille, située à une trentaine de kilomètres, avait, lui, rapidement
manifesté son opposition dans les médias. « S’il y a un endroit en France où
on ne pourra pas faire un EPR, c’est à Marseille » lançait Benoit Payan,
évoquant des risques sismiques et de submersion.
Les industries pétrochimiques de Lavéra à Martigues / Image : Révolution Énergétique.
Quid des
risques sismiques et de submersion ?
Mais où cette
hypothétique centrale pourrait être construite ? Si la zone est
effectivement soumise à un risque sismique « modéré » selon la carte
du ministère de la Transition écologique, plusieurs sites nucléaires le sont
déjà en France. C’est le cas des quatre centrales implantées en vallée du
Rhône, de Civaux
(Vienne) et de feu-Fessenheim (Haut-Rhin).
Concernant le
risque de submersion marine, la zone industrielle de Fos-sur-Mer semble
particulièrement sensible à une élévation d’un mètre du niveau de la mer,
comparée au littoral de Martigues, comme le montre cette
carte du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Si la plupart
des marécages seraient inondés, plusieurs vastes terrains resteraient cependant
exploitables.
Qu’en est-il
du risque de tsunami ? Selon l’Unesco, la probabilité d’une vague géante en
Méditerranée est supérieur à 95 % dans les 30 prochaines années. La hauteur de
cette vague ne dépasserait pas 2 mètres toutefois. Selon le simulateur du BRGM
(réglé à 2,5 m d’élévation), la zone industrielle de Fos-sur-Mer serait cette
fois presque entièrement inondée. À l’inverse, les côtes martégales, où se
trouve notamment la centrale thermique de Ponteau, apparaissent à nouveau peu
affectées par un tel phénomène.
Aménager une
centrale nucléaire en bord de mer n’est pas rare : quatre centrales se
trouvent au ras de l’océan en France. Certaines sont même aménagées sur des
sites à la géologie particulièrement accidentée, comme Penly, Paluel
(Seine-Maritime) et Flamanville
(Manche), prises en étau entre mer et falaise. Avec sa côte rocheuse, Martigues
semble à priori plus adaptée pour accueillir ce type de centrale.
Un des sites à
étudier pourrait d’ailleurs ne pas être celui de la centrale thermique actuelle
de Ponteau. Car, avec une superficie d’environ 40 hectares (ha), le potentiel
du terrain paraît limité. Les centrales nucléaires côtières nécessitent bien
plus de surface que cela : Paluel et ses 4 réacteurs occupe environ 180 ha, les
3 tranches de Flamanville 95 ha et les 2 réacteurs de Penly 94 ha en intégrant
ses 2 réservations pour de futurs réacteurs.
La centrale thermique de Ponteau à Martigues /
Image : Révolution Énergétique.
Combien de
réacteurs construire et quelle technologie retenir ?
Selon
l’ingénieur et membre de l’association Les voix du nucléaire Benjamin
Larédo, un vaste terrain
d’environ 200 ha situé à 1,5 km au sud serait plus adapté pour recevoir
l’hypothétique centrale nucléaire de Martigues. « Le terrain est
surélevé par rapport au niveau de la mer, il y a de la place et il est plus à
l’écart des usines chimiques » nous explique-t-il. « Il a un
accès beaucoup plus ouvert sur la mer, donc pour les prises d’eau et la
dilution des rejets thermiques et chimiques, c’est beaucoup mieux [qu’une
implantation dans la zone entre Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis du Rhône, NDLR]
» ajoute-t-il.
Cette grande
superficie permettrait d’accueillir les deux paires d’EPR (soit 4 réacteurs de
1 650 MW chacun) promues par son association. Selon un
calcul effectué par Les voix du nucléaire, la région
Provence-Alpes-Côte-d’Azur pourrait devenir exportatrice d’électricité tout en
décarbonant son industrie, en optant pour 4 EPR en complément de son importante
production solaire, hydraulique et
éolienne en mer.
À
droite : superposition à l’échelle de la centrale nucléaire de Paluel sur la
zone suggérée par l’ingénieur des Voix du nucléaire Benjamin Larédo / Image :
Révolution Énergétique, carte Google Earth, modifiée par RE.
« Il faut quelque chose de costaud » nous confirme Ludovic Leroy, un ingénieur œuvrant notamment dans la
pétrochimie, qui connaît bien la zone. « Deux paires d’EPR, ça ne me
parait pas délirant ici » estime-t-il. « Les industriels sont
dans une dynamique de décarbonation qui passe par l’électrification. Ils ont
tous des
projets de production ou d’utilisation d’hydrogène vert. Fos est d’ailleurs
pressenti comme un
hub de l’hydrogène. Si vous avez une offre d’électricité décarbonée qui
vient s’installer ici, c’est sûr que ça va jouer un rôle dans leur stratégie de
décarbonation » explique l’expert, qui évoque les difficultés
rencontrées par plusieurs industriels de la zone pour réaliser leurs projets de
transition énergétique, faute de production locale suffisante.
Ludovic Leroy mentionne également les SMR, ces
petits réacteurs nucléaires en kit toujours en cours de développement, qui
pourraient être directement installés
dans les sites industriels. « La pétrochimie est intéressée pour
intégrer des SMR. Toute la fonction chauffe se fait aujourd’hui dans des fours
au gaz naturel. Il y a des développements en cours pour passer sur des fours de
cracking électriques. Si vous prenez un SMR de 80 MW, ça collerait très bien
avec les besoins d’un vapocraqueur » estime-t-il.
À
lire aussi Voici la carte des centrales nucléaires en construction dans le
monde
Quel coût pour
une nouvelle centrale nucléaire près de Marseille ?
À partir du montant
prévisionnel des 6 futurs EPR en projet en France (qui seront construits
sur des centrales existantes), on peut estimer autour de 45 milliards d’euros
le coût d’une nouvelle centrale nucléaire composée de 4 réacteurs. Un
investissement colossal, à comparer évidemment à la production monumentale que
l’on peut espérer d’une telle installation : environ 42 TWh annuels, si l’on se
base sur les performances de l’EPR
d’Olkiluoto en Finlande. Au prix moyen attendu de l’électricité nucléaire (70
€/MWh), voilà de quoi espérer obtenir près de 3 milliards d’euros de
recettes annuelles.
Pour générer
autant d’énergie avec des éoliennes en mer, il faudrait installer l’équivalent
de 28 parcs comme celui
de Saint-Nazaire, qui a produit 1,5 TWh en 2023. Ce dernier, d’une
puissance de 480 MW, a coûté 2 milliards d’euros. De rapides estimations, qui
ne prennent pas en compte le
coût tout aussi élevé du stockage d’énergie nécessaire pour compenser les
variations de puissance de l’éolien. Car produire de l’hydrogène vert — utile
notamment pour fabriquer de l’acier bas-carbone — à partir de sources d’énergie
intermittentes, semble
plus complexe qu’imaginé. Côté nucléaire, nous ne considérons pas non plus
le coût de production, recyclage et stockage du combustible, ni d’éventuels
dérapages de budget, qui ne sont pas rares dans cette filière.
Au-delà du
coût, il resterait à convaincre élus et populations locales d’accepter
l’implantation d’une centrale nucléaire proches de leurs logements et lieux de
baignade favoris. La zone est assez densément peuplée : plus de 80 000
personnes résident dans un rayon de 10 km autour de Martigues et près de 2
millions de personnes dans un rayon de 50 km. Si le projet se concrétisait, il
nécessiterait un important travail pédagogique et une forte volonté politique
pour le mener à terme.
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