Dernière étude sur la Pollution
dans la Région autour de FOS sur Mer
Pollution
Fos n’est vraiment pas dans
son assiette
Présentée
hier soir au grand public, une nouvelle étude relève des traces de polluants
dangereux dans la chaîne alimentaire. Ils imprégneraient plusieurs produits AOP
du territoire. Malaise
"Il est probable que manger une seule fois de
ces produits n’aura aucun impact sur la santé des consommateurs", admet, à
l’Institut éco citoyen pour
la connaissance des pollutions, à Fos,
Julien Dron, chimiste de l’environnement. Mais au-delà ? "Il faut qu’on nous dise si réellement on
est en danger en vivant à Fos ou pas", a tranché hier
sans ambages René Raimondi, le
maire sans étiquette de cette
commune dont l’industrie a
fait la fortune.
C’est bien aussi ce qu’aimeraient savoir Daniel Moutet et des
centaines d’habitants du territoire : mais depuis 2016, c’est en vain que
l’emblématique président de l’ADPLGF tape aux portes des pouvoirs publics
(préfet, Agence régionale de santé, Anses, ministères de la Santé, de
l’Environnement), son étude en main. L’État a d’ailleurs refusé d’en financer
la poursuite. Lanceuse d’alerte, l’association de Daniel l’avait jusqu’ici
payée sur ses fonds, grâce au legs d’un couple de Miramas, dont le petit garçon
était décédé d’un cancer…
La pollution de la zone industrialo- portuaire, ignorée durant
des décennies, fait cependant depuis quelques mois les gros titres : des
études, toutes inquiétantes, sont en effet venues documenter l’imprégnation de
la population de Fos et de ses environs aux émissions de polluants. En février
2017, l’enquête Epséal, financée par l’Anses, mettait ainsi en évidence une
prévalence des cancers (à Fos, 14,5% des femmes sondées en souffraient, contre
5,4% en France) ou du diabète (12,9% contre 6%, moyenne
nationale).
En janvier dernier, l’Agence régionale de santé Paca et la
Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dréal)
présentaient l’étude Scenarii, pointant, autour de l’étang de Berre, "une surmortalité pour toute cause
de décès de 2,3% chez les hommes et les femmes", et de "4%
pour les cancers". En mai prochain,
ce sera à l’Institut éco citoyen de livrer le résultat de son enquête Index :
depuis près de deux ans, il recherche 50polluants (benzène, hydrocarbures, dioxines,
métaux lourds) dans le sang et les urines de quelque 200 volontaires à Fos, Saint-Martin
de Crau et Mouriès. "Les résultats sont
évidemment probants", promettait hier Véronique Granier, chargé de communication de
la structure.
Fin 2018, l’ARS publiera aussi les très attendus résultats de l’Observatoire
des cancers du rein, de la vessie et des leucémies aiguës dans le département des
Bouches-du-Rhône. "Tout cela
forme un faisceau d’indices de plus en plus important qui
doit être pris en compte, juge Véronique
Granier. Car si quelque
chose peut sauver Fos, c ’ e s t bien cette p r i s
e de conscience." À l’Institut éco citoyen, on plaide ainsi depuis
des années pour qu’une réglementation encadre enfin le rejet de particules ultrafines
(Puf).
Si les industriels de la zone se targuent d’avoir réduit, en dix
ans, les "rejets des principaux polluants
de 50 à 70%", un rapport daté de
l’automne 2017 relève des "concentrations
de benzène anormalement élevées, jusqu’à dix
fois leur valeur limite" en
provenance, depuis 2016, de l’usine ArcelorMittal. Le préfet des
Bouches-du-Rhône lui a donné de six mois à un an pour se
mettre en conformité.
L’ÉTAT
NUANCE LES RÉSULTATS OBTENUS.
La Direction générale de
l’alimentation, auprès de qui l’association de Daniel Moutet avait sollicité un
financement, a considéré que "le petit nombre d’échantillons"
prélevés constituait un "biais" ne permettant "pas une
comparaison avec des moyennes nationales", réalisées à partir de ses
propres campagnes de mesures, portant, elles, sur "plus de
1000échantillons". Elle a aussi jugé que les périodes comparées n’étaient
"pas superposables".
De son côté, la Direction
départementale de la protection des populations nous indique qu’elle a, en
2017, réalisé 45 prélèvements sur des ovins, des bovins, du miel et des
poissons du territoire et qu’aucun ne dépassait les valeurs admises pour les
métaux lourds, les PPCB, dioxines, pesticides, etc...
Dans l’anse de Carteau, K.-O. debout…
L’endroit est surprenant, presque hors du temps. Nous sommes
dans l’anse de Carteau, sur ce bout de Camargue, au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône.
Une terre sauvage avec un décor atypique, après le canal
Saint-Louis, calée entre la mer et le Rhône, entre flamants
roses et petites cabanes de pêcheurs. Haut-lieu méditerranéen de production de
coquillages, au travers de 105parcs à moules, avec sa fameuse perle de Carteau
; une produc t ion de 1500tonnes chaque année. Le mistral décorne. Il fait
souffler un vent de colère. Celui que tente de contenir Paul Scotti, patron pêcheur,
vice-président de la coopérative Aquacole de Port-Saint-Louis (Coopaport), qui
fait partie des 36 conchyliculteurs travaillant sur la zone.
"On nous envoie au pilori"
En entrant dans les "Viviers de Carteau", une des
exploitations où est choyée cette fameuse moule de Carteau, il est là "K.O. debout", les premières indiscrétions, par voie de
presse, dans les mains de l’étude pointant "une présence de dioxines supérieure à la
moyenne nationale pour les moules".
"On nous envoie au pilori, s’inquiète-t-il. Pour nous, c’est une bombe, une catastrophe.
On apprend ça comme ça, sans aucune concertation
avec les professionnels.
On accuse, met en cause notre filière mais on ne
sait rien. Quels ont été les protocoles ?
Quelles sont les analyses ?
On a de
cesse à garantir nos produits. C’est 50% de notre chiffre d’affaires qui est déjà
mort. Mais on ne va pas en rester là."
L’uppercut est rude pour ces mytiliculteurs qui ont su se faire un nom et qui
se sont même diversifiés depuis deux ans dans la production d’huîtres, autorisée
depuis octobre 2015.
Les spécialistes vous le diront, la moule de Carteau est une
perle à déguster avec ce goût unique. Plus grosse que sa cousine bretonne, charnue
et goûteuse, un zeste iodée, elle bénéficie de conditions optimums pour la
pousse. Paul Scotti en parle avec amour racontant comment "ces petites
moules ou naissains suspendus
à des filières ("les
chaussettes" dans le jargon), à
environ 5 mètres sous le niveau de la mer, sont élevées
dans ces criques avec un mélange
subtil d’eau douce du Rhône
qui rencontre les flots salés de la Méditerranée".
"Ces élevages datent de 1982. Les contrôles
sanitaires y sont extrêmement stricts avec des analyses diligentées par
l’Ifremer (Institut français de
recherche pour l’exploitation de la mer, NDLR). Ils sont de deux ordres entre "Remi"
pour le contrôle microbiologique et "Rephy" pour une surveillance du
phytoplancton et des phycotoxines, résume
notre éleveur. Si on suit cette étude, les
autorisations de la DDTM
(Direction départementale des territoires et de la
mer), les services vétérinaires et l’avis des producteurs ne comptent pas ?
On voudrait nous faire passer pour des illuminés ?"
RÉUNIONPUBLIQUE
L’étude qui fait l’effet d’une bombe
"Aujourd’hui, on se sent seul et
isolé. L’État ne fait rien malgré nos sollicitations." Daniel Moutet, président de
l’Association de défense et de protection du
littoral du Golfe de Fos (ADPLGF)
savait qu’il avait une bombe
entre les mains : le rapport
de la campagne d’analyses sur
des produits alimentaires du pourtour du Golfe de Fos.
Quelques pages qui lui brûlent les doigts depuis 2016. Et pour cause.
Ces quelques pages démontrent que les seuils de polluants, pour certains
produits, ont été dépassés et que pour d’autres, ce sont les moyennes et
parfois les maximales nationales qui sont dépassées (lire
ci-contre). "Dès
2016, nous avons informé les ministères de la
Santé, de l’Environnement et de l’Agriculture de ces résultats mais rien n’a
bougé, dénonce le président.
Voilà pourquoi nous les
rendons publics aujourd’hui."
Daniel Moutet n’entend pas, pour autant, incriminer les producteurs
locaux "qui eux aussi
sont victimes de cette pollution".
C’est à une prise de conscience collective qu’appelle l’ADPLGF en employant les
grands moyens. Après l’étude, la justice (lire également
ci-dessous). Une réunion publique était organisée hier soir
(12/02/2018) au centre culturel Marcel Pagnol, à Fos, pour informer la
population. Les habitants, et pas seulement de Fos, sont venus nombreux écouter
Philippe Chamaret, le directeur de l’Institut éco citoyen, livrer les
résultats, mais aussi Yolaine Ferrier, l’une de celles qui a mené la précédente
étude de données participative sur la santé, Fos Epséal.
"Je suis habitant de Port de Bouc,
est intervenu un monsieur dans
l’assistance. J’ai deux petits-enfants sous
Ventoline, je vais porter plainte et inciter les gens autour de moi à faire
pareil." "Le silence de l’État est la preuve qu’il est
complice des grands groupes qu’il laisse générer de gros profits tout en
économisant
sur notre santé", estimait ce Miramasséen. "J’ai été
horrifié par ce que j’ai découvert
dans ma salle d’attente, il y a 15 ans, intervenait
un médecin de Port-Saint-Louis. Je suis fier d’être des vôtres et de la pertinence
de vos actions et je peux vous dire qu’avec ce que je vois dans ma salle
d’attente, vous êtes en dessous de la vérité. Ce moment était prévisible, vous
êtes dans le sens de l’Histoire", lançait-il
a "une population courageuse".
Le moment le plus fort, le plus émouvant fut sans doute celui de
l’intervention de Rébecca, la maman miramasséenne du petit Terry. Des sanglots
dans la voix et tournée vers la salle, elle a expliqué que son petit garçon
avait déclaré un cancer à 6 mois et qu’il en est mort 3 ans plus tard. Elle
avait fondé une association, Terry le Petit Ange, pour recueillir des fonds.
Quand Terry est parti et que l’association a été dissoute, elle a
fait don de l’argent récolté. 20 000 € sont
allés au don de sang à Miramas, 53000¤ à l’association du malade
hospitalisé, à Anger, et la même somme à l’ADPLGF "car je voulais une association
qui agisse en amont de la maladie. Daniel Moutet m’avait dit qu’il
s’en servirait pour ces analyses."
Et de souhaiter un "front
uni" face à ce nouveau combat.
LES RÉSULTATS.
L’étude révèle "une
présence généralisée des dioxines au sein des produits d’origine locale".
Les échantillons de bovins, de fromages de chèvre, d’œufs, de foin de Crau et
de moules contiennent des dioxines à des teneurs supérieures (taureau, œufs) ou
égales aux moyennes nationales.
Deux échantillons de
bovins ont dépassé les seuils réglementaires, tout comme pour les œufs. La
présence de PCB à des teneurs supérieures aux moyennes nationales est observée
pour les moules, les poissons, les œufs et les bovins. Pour ces derniers, là
encore, des mesures dépassent les valeurs maximales nationales. Enfin, "le
plomb et le cadmium sont présents dans le milieu marin à des teneurs
importantes, parfois supérieures aux concentrations nationales maximales".
L’étude en révèle la présence dans tous les échantillons en 2015. Très souvent,
les teneurs mesurées par les services de l’État sont moindres.
DANS LES
AUTRES FILIÈRES
La surprise et la stupeur
Déjà remontés du côté
d’Arles, hier matin, contre la politique agricole française pour dénoncer une
agriculture qui "recule" à l’appel de la FDSEA, la Fédération ovine des Bouches-du-Rhône
et l’association Bovin 13 oscillaient entre "stupeur" et "surprise"
lorsque l’on leur apprenait les prémices de cette étude mettant en cause sept
produits certifiés AOC. Même son de cloche du côté de Jean-Pierre Lombrage,
président du syndicat
Interprofessionnel huile
et olives AOP de la Vallée des Baux, "pas au courant". Tous
regrettaient la méthode de ne pas avoir été ni informés, ni consultés. "Ce sont de
surprenants lanceurs d’alerte quand j’entends que les
analyses ont commencé depuis 2009. Et on attend
aujourd’hui pour les rendre publiques ?"
Dans ce contexte, Magali
Saumade, qui préside l’AOP Taureaux de Camargue, ne voulait pas "prendre
pour argent comptant cette étude en attendant d’avoir tous les éléments pour savoir
dans quelle condition et sous quelle présence cette étude avait
été menée". "Nous subissions déjà un gros lobbying anti-viande,
ajoute-t-elle. Ça peut évidemment porter
atteinte sur l’ensemble de la filière. Avant de me positionner, j’attends de
savoir quels ont été les prélèvements. Je suis quand même très étonnée dans
une filière très contrôlée."
JUSTICE
Une plainte contre X pour "mise en danger de la vie
d’autrui"
Trois avocats de Martigues, Marseille et Paris ont été mandatés
pour déposer au nom de l’association une plainte contre X pour "mise en
danger de la vie d’autrui". "Il
est difficile d’établir la relation
de cause à effet entre les
polluants et les types de maladies, note
Sarah Games, avocate martégale. Il s’agit
avant tout d’alerter l’opinion publique, mais nous espérons que
l’instruction permette au Parquet
de dégager, ensuite, des
responsabilités." Des plaintes
individuelles devant le TGI d’Aix pour "troubles anormaux du
voisinage", seront également déposées. Julie Andreu, avocate marseillaise,
précise qu’il s’agit d’obtenir "une
reconnaissance du milieu de vie mais aussi et surtout d’enjoindre les
sites industriels à revenir dans les normes". Plus que cela encore, c’est "la diminution des normes", que souhaitent Daniel Moutet mais aussi
le maire de Fos, René Raimondi, "car
jamais l’État ne tient compte du cumul de ces rejets" qui, même lorsqu’ils respectent les
seuils, forment un cocktail de polluants préjudiciables aux riverains.
"Une véritable étude épidémiologique"
René Raimondi a ainsi rappelé qu’ArcelorMittal a dépassé pendant
deux ans les rejets de benzène. "Ce
que nous réclamons depuis 2004, a
redit le maire, c’est une véritable étude
épidémiologique scientifique." Sur la posture parfois mal aisée d’un maire dans un
bassin pourvoyeur de tant d’emplois, il y a longtemps que René Raimondi s’est
positionné du côté de la santé de ses administrés dont, il le sait, beaucoup
sont salariés des usines visées. "Nous
ne sommes plus dans l’époque où on
était mineur et on savait
qu’à 50 ans on ne serait plus là. Ça, ce n’est plus acceptable." Et d’évoquer son cas personnel :
"Le maire, c’est d’abord un
papa qui se demande s’il n’a pas fait une bêtise de continuer
à vivre à Fos."
Pointant l’Agence régionale de santé (ARS), "elle nous doit de prendre ses responsabilités", René Raimondi estimait "bien dommage que ce soir encore il n’y ait qu’un
maire présent (Nicole Joulia, première adjointe
du maire d’Istres, NDLR). La
pollution ne s’arrête pas à Fos et je m’étonne du silence de mes voisins.
L’omerta est autour de nous mais nous, nous voulons savoir !" Des formulaires ont été distribués, hier
soir, aux personnes présentes à la
réunion publique et
souhaitant se pourvoir ainsi devant le TGI. Interrogé sur la possibilité d’une
action de groupe, Me François Lafforgue, avocat parisien, l’estime
limitée vu le peu de cas précédents.
"En revanche, l’action individuelle permet de viser
l’ensemble des industriels."
Daniel Moutet a assuré que les frais d’avocats seront pris en charge par
l’association. "D’autres
associations, organisations syndicales,
CHSCT, peuvent se joindre à la plainte contre X pour
mise en danger de la vie d’autrui, soulignait
Me Andreu. Vous
êtes exposés pour certaines pathologies, pour des troubles de l’anxiété et avez
subi des préjudices corporels, moraux, matériels.
Aujourd’hui il va falloir faire un choix, agir ou laisser
faire." À Fos, visiblement,
le choix est fait
L’ÉTUDE
7 denrées à la loupe
◗ SEPT PRODUITS AOP
Venus de l’ensemble du territoire de l’ouest de la Provence
jouxtant la zone industrialo-portuaire de Fos, entre la Crau, les Alpilles et
Port Saint- Louis-du-Rhône, les échantillons concernent : le taureau de
Camargue élevé dans les Alpilles ; le mouton de Crau élevé à moins de
20kilomètres de Fos ; les fromages de chèvre produits à proximité des Alpilles ;
les œufs de poules élevées en plein air près des Alpilles. Les poissons
viennent du golfe de Fos, les moules de Carteau de Port Saint-Louis-du- Rhône.
Enfin, ont aussi été prélevés de l’huile d’olive produite près des Alpilles et
du foin de la Crau, à Fos. Les prélèvements ont été effectués par l’Association
de défense du Golfe de Fos et les données interprétées par l’Institut éco
citoyen de Fos-sur-Mer.
◗ L’ANALYSE
De un à deux échantillons ont été acheminés, en glacières
spéciales, et analysés chaque année, entre 2009 et 2015, par deux laboratoires
spécialisés dans l’alimentaire : Carso, à Lyon, et Wessling, à Saint-Quentin
Fallavier, dans l’Isère. Les mêmes protocoles que ceux utilisés dans toute la
France, selon les normes en vigueur, ont été appliqués.
◗ LES POLLUANTS CHERCHÉS
Les dioxines, furanes, les métaux lourds (arsenic, plomb,
cadmium, zinc, etc.), les dibenzodioxines (PCDD), les dibenzofuranes poly
chlorés (PCDF, PCB type dioxine) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques
(HAP).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire