mardi 14 décembre 2021

William Tillet

William Tillet, au coeur des locaux de la prud'homie, à l'île. Derrière lui, le tribunal de pêche, qui ne sert qu'exceptionnellement. À sa droite, la statue de Saint-Pierre.

William Tillet, premier prud'homme des pêcheurs à Martigues :

"J'admire les jeunes

Qui veulent devenir pêcheurs"

Seul candidat en lice, William Tillet a été réélu premier prud'homme des pêcheurs. A 74 ans, celui qui occupe ce poste depuis 1999 porte un regard d'expert sur l'évolution de la profession

Par Éric Goubert

Prud'homme depuis 1993, premier prud'homme depuis 1999. Mais surtout pêcheur d'oursins et de corail à Carro pendant 40 ans, scaphandrier dans le milieu industriel pendant douze ans années. Une vie professionnelle passée en grande partie sous l'eau ("C'est là que je suis le mieux"), mais aussi à la barre de la prud'homie de pêche de Martigues, qui gère une zone s'étendant de Sausset les Pins aux Saintes-Maries de la Mer, étang de Berre compris. Réélu pour trois nouvelles années, William Tillet 74 ans, jette un œil d'expert sur l'évolution de cette profession.

Depuis que vous avez commencé dans le métier, qu'est ce qui a le plus changé ?
William Tillet : Sans hésitation, la réglementation. Ou plutôt le système administratif. Là où avant, on avait des humains en face de nous, et en proximité, aujourd'hui il faut jongler avec des portails internet. Et on ne négocie pas avec la machine...

Avant, c'était mieux ?

C'était surtout plus simple. On avait un administrateur des affaires maritimes en face de la prud'homie de Martigues, le syndic des gens de mer qui regroupaient les pêcheurs, on embarquait, on allait pêcher, on rentrait, et on voyait après. Maintenant, c'est le contraire, il faut d'abord régler toutes les formalités administratives avant de partir en mer. Et ces formalités, ce n'est pas rien. L'Urssaf, le prélèvement à la source, pour un salaire qui n'est jamais le même, les déclarations de capture... C'est tellement compliqué que des pêcheurs abandonnent. Souvent, les plus anciens n'ont pas d'ordinateur, juste un smartphone, et ils n'arrivent plus à suivre. Alors, ils arrêtent.

Et des jeunes prennent le relais ?

Oui, en passant notamment par le centre de formation de la prud'homie, où j'assure les cours. Et je le dis franchement : j'admire ces jeunes qui se lancent dans ce métier, qui doivent connaître toute cette réglementation avant de partir en mer. À chaque nouvelle session, un nouveau module apparaît...

Qu'est qui les motive autant ?

La mer ! Même s'ils n'ont pas connu la liberté avec laquelle les anciens ont pu exercer, c'est cette passion qui les anime. L'argent ? Ceux qui viennent en rêvant de pêches miraculeuses, et de rentrées mirobolantes seront vite découragés dès les premiers coups de moins bien. Parce qu'en étant pêcheur, on peut bien gagner sa vie. Mais il faut apprendre à travailler, à être régulier. Les gros coups, une fois de temps en temps, on prend bien sûr. Mais il faut aussi savoir faire le dos rond après de mauvaises journées, où il fait froid, où le poisson n'est pas là, où tu as quand même toujours tes frais et que l'argent ne rentrera pas. Ce sont ces journées-là qui découragent ceux qui ne viennent que pour l'argent. En plus, maintenant, quand tu rentres, même après une bonne journée, tu ne peux pas te reposer tranquille chez toi ; il y a plein de papiers à faire ! Les déclarations de capture, c'est quelque chose, avec un code à affubler à chaque prise. Moi, quand j'exerçais encore mon activité de pêcheur d'oursin (j'ai pris du recul aujourd'hui), il fallait cocher la case "Urx", et indiquer les prises de son nom savant, "Paracentrotus lividus". Et c'est pareil pour tout ce qu'on pêche.

La quantité de l'oursin de la Côte bleue, justement, était en baisse ces dernières années. Quelle analyse en faites vous ?

La baisse est encore manifeste cette année. Ça fait trois ans de suite... Et je le dis franchement : même avec trente ans d'expérience, je n'ai pas d'explication scientifique sur le sujet. J'entends ceux qui évoquent les variations de température, un courant qui aurait varié de quelques degrés... Ils sont moins nombreux, ici mais aussi en Italie ou en Espagne. On ne peut qu'en faire le constat.

Puisque vous avez aussi été pêcheur de corail le long de la Côte bleue, comment se porte-t-il ?

Il y en a toujours eu, il y en a encore... C'est comme pour les oursins, il y a des bonnes journées, et des moins heureuses. Maintenant, là aussi, quand on en ramène, il y a une paperasse terrible à remplir.

Dans la zone où vous avez compétence, le poisson est-il toujours présent ?

On a quand même la chance d'avoir des espèces nobles, comme les loups et les daurades, qui ont une valeur marchande indéniable, et d'autres espèces appréciées des consommateurs. L'étang de Berre est aussi redevenu une belle ressource : regardez les palourdes, même après la crise de l'été 2018, elles reviennent bien.

Premier prud'homme, c'est aussi gérer les conflits entre pêcheurs. Ça arrive souvent ?

Pas tant que ça en fait. Bon, je me souviens bien d'un épisode, il y a longtemps, lorsqu'un pêcheur avait mis un coup de poing en pleine réunion à l'administrateur des affaires maritimes... Il avait pété un câble en entendant ses directives. Là, il avait fallu sévir. La plupart du temps, ceux qui sont mis en cause reconnaissent leurs torts, et ça se termine pas trop mal.

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