jeudi 27 février 2020

Des gendarmes pour les sites SEVESO



« Il faut créer un gendarme des sites Seveso Pour restaurer la confiance »


Interview  |  Risques  |  24 février 2020  |  Laurent Radisson

La mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'incendie Lubrizol a publié son rapport. Son président, Christophe Bouillon Député de la Seine-Maritime, Président de la mission d’information sur l'incendie d’un site industriel à Rouen présente ses principales conclusions et défend la création d'une Autorité de sûreté des sites Seveso.
      
Actu-Environnement : Quelle est la préconisation principale qui ressort de la mission ?
Christophe Bouillon : Je partage avec le rapporteur les conclusions sur la culture du risque, la nécessité d'exercice et de pédagogie. En revanche, on a une vraie différence sur les questions de prévention et de sanction. Je souhaite la création d'une Autorité de sûreté des sites Seveso qui regroupe l'ensemble des inspecteurs affectés à ces installations dans une entité indépendante, qui leur donnera plus d'indépendance et de capacité à obtenir gain de cause. Dans le système actuel, les préfets sont en quelque sorte juges et parties. Ils ont la double mission d'assurer le développement économique et la protection des populations.
AE : Quelles seraient les caractéristiques de cette nouvelle autorité indépendante ?
Ch. B. : Il s'agit de créer un véritable gendarme des sites Seveso qui permet de mettre la pression sur les exploitants à travers la publication de ses avis et recommandations. Il est inspiré du modèle de l'Autorité de sûreté des sites nucléaires (ASN) qui fonctionne bien, dont les avis sont écoutés et dont même les ONG anti-nucléaire reconnaissent qu'elle fait un travail utile. C'est un système de contrôle/auto-contrôle qui amène une culture de la sécurité. Aujourd'hui, le système est entaché de doute comme l'a montré l'accident de Lubrizol. La création d'une autorité indépendante est appelée de ses vœux par le Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim), qui représente les inspecteurs. Les 1362 sites Seveso, seuil bas et seuil haut confondus, présentent les risques les plus importants. Deux millions et demi de Français vivent à proximité. On leur doit une garantie de contrôle, exempte de pressions. C'est la condition pour conserver la coexistence entre l'industrie et les zones résidentielles.
AE : Vous avez déposé une proposition de loi visant à créer cette autorité. Est-elle inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée ?
Ch. B. : Je l'ai déposée avec mon collègue communiste Hubert Wulfranc mais une proposition à deux députés a peu de chances d'être discutée. Je vais déposer un autre texte de loi avec mon groupe reprenant la plupart des propositions que j'ai pu formuler sur la sécurité, les sanctions et la prévention, en espérant qu'elle puisse être discutée lors d'une niche parlementaire.
AE : Vous réclamez plus de transparence. N'existe-t-il pas des obstacles comme la question du risque terroriste mise en avant par le Gouvernement ?
Ch. B. : Élisabeth Borne a laissé la porte ouverte pour davantage de transparence sur le stockage notamment. Il faut éviter l'écueil du secret commercial et celui de la sûreté des sites. Mais on doit savoir en temps réel et en permanence la nature des produits qui sont stockés dans les installations. Je souhaite également modifier la composition des conseils départementaux de l'environnement et des risques sanitaires technologiques (Coderst). La réouverture partielle du site de Lubrizol montre que le match était joué d'avance, vu la très faible présence des collectivités, des associations de protection de l'environnement et des consommateurs dans cette instance.
AE : Tirez-vous d'autres leçons de cet accident industriel hors norme ?
Ch. B. : Si on veut que la peur change de camp, il faut des sanctions plus dissuasives. La peine d'amende de 4 000 euros infligée à Lubrizol lors du premier accident en 2013 illustre les insuffisances en la matière. Face à un risque zéro qui n'existe pas, la tolérance doit être nulle pour les négligences. Les inspecteurs regroupés dans la nouvelle autorité doivent avoir les moyens d'aller jusqu'au bout du processus de sanction.
AE : Les annonces faites par la ministre de la Transition écologique le 11 février vont-elles dans le bon sens ?
Ch. B. : Il y a des propositions intéressantes concernant la détection incendie, la prise en compte des sites voisins dans les études de dangers ou la création d'un bureau d'enquête accidents. Je suis plutôt favorable à cette dernière proposition même si elle ne porte pas sur la prévention. Elle n'est pas contradictoire avec la création d'une autorité de sûreté indépendante. Élisabeth Borne annonce aussi une hausse de 50 % des contrôles d'ici 2022. C'est a priori une bonne annonce mais c'est en fait un leurre car cet objectif ne peut être tenu avec une stabilisation des postes. Les inspecteurs, débordés, ne peuvent pas faire plus. On sait déjà qu'ils sont obligés de faire des choix aujourd'hui. La ministre veut leur retirer certaines tâches administratives mais ses propositions conduisent aussi à plus de documents à rédiger par l'Administration.
AE : Combien de postes faudrait-il créer ? Des moyens spécifiques doivent-ils être alloués à l'Autorité de sûreté ?
Ch. B. : Création d'une nouvelle autorité ou non, il faut une centaine d'inspecteurs en plus. Mais la préfiguration de l'Autorité de sûreté des sites Seveso consiste à regrouper des inspecteurs, en poste dans les Dréal, dans une même entité. Ce n'est pas une dépense supplémentaire. Le budget de l'État peut y suffire. En revanche, une autorité indépendante est préservée du plafond emploi que connaissent tous les ministères.
AE : Les parties prenantes sont-elles prêtes aux évolutions que vous proposez ?
Ch. B. : Beaucoup d'acteurs sont prêts. Une fédération professionnelle comme France Chimie, que nous avons auditionnée, craint surtout une surcouche réglementaire qui pénaliserait l'industrie, notamment vis-à-vis de l'Allemagne. Elle craint aussi que l'autorisation des sites Seveso remonte au niveau ministériel à l'exemple du nucléaire. En fait, nous ne proposons pas une surcouche mais une organisation différente, ce qui n'est pas le cas d'Élisabeth Borne qui annonce une nouvelle réglementation. Les autorisations des sites seront toujours délivrées par le préfet mais ce n'est plus lui qui exercera les contrôles. Si on veut restaurer la confiance, il faut que l'on puisse dire qu'il y a un après-Lubrizol, comme il y a eu un après-AZF, toutes choses égales par ailleurs.


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