Déconfinement
:
"Nous ouvrirons en quatre étapes",
Retrouvez en intégralité l'interview d'Emmanuel Macron
Dans une interview à La
Provence, le président de la République détaille le déconfinement en France et
revient sur la vaccination ainsi que sur le plan de relance
Par François Tonneau,
envoyé spécial à Paris
Le 31
mars, vous avez annoncé un retour progressif à la normale à partir de mi-mai.
Quel est votre calendrier ?
Emmanuel Macron :
L’étape zéro, c’était la réouverture des écoles le 26 avril. Nous avons assumé cette priorité éducative et cette stratégie de vivre avec le virus, y compris face à haut niveau d’incidence, supérieur à celui de nos voisins. Nous ouvrirons ensuite en quatre étapes. Le 3 mai, fin des attestations et des restrictions de déplacement. Le 19 mai, couvre-feu repoussé à 21h et réouverture des commerces, des terrasses et des musées, salles de cinémas et théâtres avec des jauges limitées. Dès le 19 mai, il nous faut retrouver notre art de vivre à la française, en restant prudents et responsables : notre convivialité, notre culture, le sport… Le 9 juin, couvre-feu à 23h et ouverture des cafés, restaurants et salles de sport. Enfin le 30 juin, fin du couvre-feu (voir infographie en fin de papier).
L’idée
de déconfiner par territoire est donc abandonnée ?
J’ai bon espoir que la France entière pourra passer à l’étape du
19 mai. Les mesures seront nationales, mais nous pourrons actionner des
"freins d’urgence" sanitaires dans les territoires où le virus
circulerait trop. À l’heure actuelle, il y a dix départements dans lesquels
l’incidence dépasse 400 cas pour 100 000 habitants.
Selon
quels critères ces freins seront-ils déclenchés ?
Ils s’appliqueront dans une métropole ou un département en
fonction de trois critères : le taux d’incidence qui dépasserait à nouveau 400
infections pour 100 000 habitants, une augmentation très brutale de ce taux et
une menace de saturation des services de réanimation. Si cela se produit, le gouvernement,
en concertation avec les préfets et les collectivités locales, bloquera les
réouvertures.
En
octobre, vous aviez fixé le seuil de déconfinement à 5 000 cas par jour, il est
aujourd’hui à plus de 30 000. Les conditions sont-elles vraiment réunies pour
gagner ce nouveau pari ?
Je n'ai jamais fait de pari sur la santé et la sécurité de nos
concitoyens. J'assume d'avoir fait des choix, mais ce ne sont pas des paris.
Cela sous-entendrait que ce serait aventureux. Non. Nous avons été éclairés par
la science et nous avons fait le choix de mettre l'humain avant tout. Dans
l'humain, il n'y a pas que la gestion sanitaire mais aussi tout ce qui fait la
vie des femmes et des hommes. La vie de la Nation ne se réduit pas à
l'évolution des courbes. Je suis obligé de regarder la conséquence de la
fermeture d'une école, quand un enfant n'aura pas un repas par jour ; ou encore
la conséquence quand on demande à un commerce de fermer plusieurs semaines. Je
sais leur détresse aujourd'hui. Nous devons prendre tout cela en compte.
Qu’est-ce
qui a changé ?
La grande différence avec le mois d'octobre, c'est qu'aujourd'hui,
nous avons un vaccin qui donne une perspective de sortie durable de la crise.
Nous avons vu l'efficacité du couvre-feu -, croisée avec l'arrivée du vaccin en
janvier. C'est un vrai changement dans la gestion de l'épidémie.
Assouplirez-vous
le télétravail ?
Le télétravail sera assoupli à partir du 9 juin, en lien avec les
partenaires sociaux au niveau des entreprises. De manière plus large, ce que je
vous ai présenté aujourd'hui est un projet qui fera l’objet, à partir de lundi,
d’une grande phase de concertation à trois niveaux : avec les parlementaires,
avec l’ensemble des partenaires sociaux et des professionnels et avec les élus
des territoires. A l'issue, le plan sera présenté en détail par le Premier
ministre au cours de la semaine du 10 mai.
Comment
le pass sanitaire fonctionner a-t-il ? N’y a-t-il pas de risque d’une société
sanitaire à deux vitesses avec les vaccinés et les autres ?
Je tiens beaucoup à l’unité de la Nation. Sur le plan sanitaire,
chaque innovation a été accessible à tous. Les tests sont gratuits en France.
Très peu de pays sont dans ce cas. Nous n’avons laissé personne au bord de la
route. La République et l’Etat Providence ont été au rendez-vous. Le
"quoiqu’il en coûte", c’est aussi ça. Le pass sanitaire ne sera
jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être
obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les
restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis. Par contre, dans
des lieux où se brassent les foules, comme les stades, festivals, foires ou
expositions, il serait absurde de ne pas l’utiliser. Comme il en va de nos
libertés publiques, le Parlement se saisira de la question. Le débat doit être
ouvert. Ce pass, qui sera papier ou numérique, via l’application TousantiCovid,
permettra de montrer qu’on est vacciné ou testé négatif dans les deux jours qui
précèdent. C’est juste et ça ne fracturera pas le pays. Ce sera un outil
supplémentaire pour assurer la protection des Français.
Est-ce
que la formule que vous nous présentez permettra de ne plus avoir recours à des
confinements ?
C’est mon souhait le plus fort, et cela ne date pas d’aujourd’hui.
Mais est-ce que je peux vous dire, les yeux dans les yeux, qu’on ne sera plus
jamais débordé par ce virus ? C'est impossible. Il semble que les vaccins dont
nous disposons sont efficaces face aux variants, mais vous voyez bien que nous
en découvrons de nouvelles formes chaque semaine. Il faut donc rester vigilant.
Maintenant, notre combat, c'est de vacciner le plus vite possible pour
augmenter notre immunité collective. Il faut le faire évidemment en Europe,
mais également en aidant l'Afrique et les pays les plus pauvres. Ce n'est pas
simplement de la solidarité, c'est aussi de l'efficacité.
C’est-à-dire
?
Le seul moyen d'éviter que de nouveaux variants émergent, c'est de
permettre à tous les pays du monde d'aller vers une stratégie d'éradication du
virus. C'est pour cela que nous sommes en train de devenir, nous, Européens, le
continent leader de la production de vaccins. On est parti moins vite que nos
amis américains, mais nous sommes en train de rattraper ce retard à marche
forcée. Nous allons produire 250 millions de doses sur notre sol cette
année. Nous, Européens, nous en avons d'ores et déjà commandé 2,5 milliards
pour cette année. Nous en produirons plus de 2 milliards sur 2022-2023 pour
faire les éventuels rappels de vaccination dont on aura peut-être besoin, mais
aussi aider tous nos partenaires à vacciner leurs populations et écraser le
virus dans leur pays.
Voyez-vous
la fin de la crise sanitaire en 2021 ?
Je ne sais pas. S’il n’y a pas de nouveaux variants non maîtrisés,
oui. Là où je suis plus optimiste, c’est que nos meilleurs scientifiques et
industriels disent que nous serions en capacité, en 80 à 100 jours, de fournir
un vaccin permettant d’y répondre. Mais peut-être aurons-nous à vivre avec le
virus pendant des années et à nous refaire vacciner chaque année.
Envisagez-vous
dès maintenant d'ouvrir la vaccination à tous ?
Pas tout de suite. On peut optimiser le fonctionnement de nos 1700
centres de vaccination. On va continuer à prioriser par âge parce que c’est le
plus efficace. La vaccination des plus vulnérables fait baisser la pression sur
les services hospitaliers. Mais nous avons des doses en stock. Nous allons donc
ouvrir à compter du 1er mai la vaccination à tous les plus de 18 ans qui ont
une surcharge pondérale sérieuse (indice de masse corporelle supérieur à 30).
J'invite les 2,3 millions de Français concernés à se rendre dans les centres de
vaccination dès ce week-end.
Y
aura-t-il un bac normal cette année ?
En aucun cas, nous n’aurons des examens et des diplômes au rabais.
Qu'il s'agisse du baccalauréat, des bac pro, des BTS ou des examens dans nos universités.
Mais nous devons nous adapter. Pour le baccalauréat, certaines épreuves qui
devaient se tenir en mars sont passées en contrôle continu du fait de
l'épidémie. En revanche, les deux épreuves qui ont des examens terminaux, la
philosophie et le grand oral, seront maintenues.
Et
les autres examens ?
Pour le bac pro, les épreuves terminales prévues pour juin seront
maintenues. Idem pour les BTS, en juin, avec la part de stage et de contrôle
continu prévue, mais nous mettrons en place une session exceptionnelle de
rattrapage en juillet. Pour tout le reste du supérieur, les examens prévus se
tiendront mais à chaque fois qu'il y aura des élèves malades, nous leur
permettrons d'avoir des sessions de rattrapage.
Comment
sortir des aides et du "quoiqu’il en coûte", sans faire trop de
dégâts sur des secteurs très fragilisés ?
J’assume totalement le "quoi qu’il en coûte". Nous avons
eu raison de le faire. Durant la crise 2008-2010, la France a eu une récession
deux fois moins forte qu’en Allemagne, mais a détruit 7 fois plus d’emplois. Là
nous n’en détruisons pas plus, car on a protégé les emplois existants. Le
chômage n’a pas explosé, ni les faillites. Les semaines à venir, il faut être
très vigilant pour accompagner le redémarrage sans créer de fragilités économiques.
Le dispositif d’activité partielle sera maintenu à l’identique en mai et en
juin. En mai, pour ceux qui commencent à rouvrir, il y aura les mêmes aides
économiques qu’en avril. A partir du 1er juin, l’accompagnement se fera au
prorata de la reprise d’activité. On aura une réponse adaptée par secteur. Ce
sera du cousu main. Là encore, nous le ferons dans un cadre concerté avec les
partenaires sociaux.
Les
750 milliards d’euros promis par l’Europe n’arriveront pas avant septembre. La
France va exercer la présidence de la Commission européenne l’an prochain.
Allez-vous prendre des initiatives pour fluidifier le système de décision
européen ?
Nos procédures sont trop lentes et trop bureaucratiques. Il y aura
au cœur de la présidence française la volonté de réformer nos institutions pour
les rendre plus efficaces et plus rapides. Mon travail dans les prochains mois,
c’est aussi de tout faire pour simplifier les procédures en France."
Comment
?
Dès le début du mois de juin grâce au retour à une vie aussi normale
que possible, je veux reprendre mon bâton de pèlerin et aller dans les
territoires pour prendre le pouls du pays.
Vous
allez refaire un grand débat national ?
Je veux, en lien avec les maires et forces vives de la Nation,
inventer un deuxième temps de la relance. Il devra passer par une
simplification drastique et une accélération des investissements.
La
crise sanitaire a révélé un certain déclassement industriel…
Nous avons tenu pendant des décennies un discours patriotique,
sans les moyens. S’il n’y a pas de recherche, s’il n’y a pas d’investissement
pour créer des usines, il n’y a plus d’industrie. Depuis quatre ans, nous avons
baissé le coût du capital et la fiscalité sur l’investissement productif.
Heureusement que nous avons réduit les impôts, y compris en supprimant la part
anti-production de l’ISF! Notre pays dissuadait l’investissement. Il dissuadait
aussi le travail et c’est pour cela que j’ai baissé l’impôt sur le revenu,
augmenté la prime d’activité. Ah, j’en ai entendu sur ces sujets de la part des
patriotes aux petits pieds ! Ceux qui vous disent : ’il faut faire des usines
en France’, mais vous expliquent que les gens qui réussissent doivent être
taxés, alors que la France est déjà l’un des pays d’Europe où la fiscalité est
la plus élevée. On a eu raison de stopper cette aberration qui conduisait nos
entrepreneurs à s’installer à l’étranger ; on aurait dû faire 10 ou 15 ans plus
tôt. Nous avons malheureusement vécu à plein l’absurdité d’un modèle économique
qui n’existait plus. On va mettre une décennie pour rebâtir le tissu
industriel.
Les
Etats-Unis préparent un plan à 1000 milliards de dollars. Ils injectent plus
d’argent que nous ?
Il faut aussi, quand on se compare avec le plan Biden, prendre en
compte tout notre modèle social, à commencer par les minimas sociaux et
l’activité partielle. Quand on y ajoute le plan de relance, la France consacre
20% du PIB à la crise. Les mêmes proportions qu’aux Etats-Unis, qui n’ont pas
notre système de solidarité.
Joe
Biden va taxer l’argent qui dort chez les plus riches. C’est une solution ?
Cette dette Covid, il faudra la rembourser et nous devrons aussi
assumer des investissements d’avenir et équilibrer le fonctionnement courant du
pays. Mais tant je serai là, il n’y aura pas de hausses d’impôts en sortie de
crise. Nous sommes déjà l’un des pays les plus taxés au monde. Il ne peut y
avoir de souveraineté industrielle sans une baisse des impôts de production.
Depuis quatre ans, nous avons baissé la contribution des classes populaires et
moyennes (100€ de gain de pouvoir d’achat pour un salarié au Smic). La Nation
doit reprendre le cours des réformes de modernisation. Ce processus ne peut pas
s’arrêter.
Vous
allez donc réformer jusqu’au bout ?
Jusqu’au dernier quart d’heure. Ces vingt dernières années, nous
avons pris trop de retard. Réformer, transformer, investir, ce sont les
conditions pour défendre notre modèle social, ce que nous sommes nous,
Français.
En
décembre, vous avez laissé planer le doute sur votre candidature à un second
mandat. Cette crise a-t-elle conforté ce doute ou l’a-t-elle fait reculer ?
Je me couche avec mes doutes et je me réveille avec des
convictions reforgées. Je serai bien intempestif à vous parler de mes ambitions
personnelles. Dans la gestion d’un pays, il ne faut pas commettre de faute de
temps. Nous avons une nouvelle décennie française à bâtir, qui sera la décennie
de notre jeunesse. Si j'ai une ambition, c'est ça. C'est qu'on puisse ensemble,
par cette grande concertation que je veux faire à l'été, tourner la page de ce
moment de la vie de la Nation. Mon destin individuel n’existe pas si nous n’y
arrivons pas, aucun destin individuel ne vaut en dehors d’un projet collectif
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