· | MARTIGUES
Incendie de Martigues :
entre traumatisme et combat pour la renaissance
Après le feu qui a ravagé 1025 hectares le 4 et 5 août, le traumatisme est intact. Paroles de sinistrés identifiant l'ampleur d'une reconstruction et une repousse qui s'annonce longue
Par Pascal Stella
Un signe trompeur d'abord. L'air limpide et un ciel d'un bleu éclatant, cette semaine sur le petit port des Tamaris. Des reflets d'argent en surface de cette grande bleue qui a presque sauvé le monde le 4 août avec une armée de 1 800 pompiers. Plus de 2 700 personnes évacuées dont 460 par la mer, dans les creux et la forte houle. Toute une chaîne renforcée avec des policiers, des plaisanciers héroïques, et une ribambelle de moyens aériens avant une nuit de lutte.
De l'autre côté, un paysage monochrome ; une terre brûlée, défigurée, martyrisée. L'odeur s'est atténuée même s'il reste des relents de calciné selon les vents. Les marques d'un été infernal. Maudit avec le feu aux trousses au bout de ces 1025 hectares de pinède ravagée à Martigues et la Côte bleue jusqu'aux portes de Sausset, à menacer des villas.
Un mois après, si l'anse de Boumandariel a été évacuée de toutes les voitures calcinées et le sol déblayé, un arrêté municipal condamne l'accès à la mise à l'eau pour "raison de sécurité" encore. Des petits pas pour effacer l'image du cimetière d'autos. Mais le traumatisme s'étale toujours en grand en entrant au camping des Tamaris. Ici, comme au voisin Lou Cigalon, c'est presque comme si on était au lendemain du feu. Rien n'a bougé. Tout semble figé. Les mêmes carcasses d'arbres noircies, les mêmes bouteilles de gaz parfois éventrées, des toitures de mobil-home en accordéon.
Dans les pas de Frédéric Pappalardo, le propriétaire, presque un haut-le-cœur encore au milieu de ces champs de ruines et ces squelettes de bicyclettes à profusion jusqu'à cette moto de type custom. Image d'une épave encore plus percutante dans un paysage lunaire. Un camping transformé en parc à ferrailles, entre morceaux de verre concassés quand il n'est pas fondu ! Ici, tout est cendres, en lambeaux jusqu'à ce coin sanitaire dévasté, avec une toiture effondrée. Comme si une bombe était tombée dans ce lieu où les boules de pétanque sont presque enracinées à chaque recoin, rappelant que c'était la vie. Mais c'est bien un air de fin du monde. Un champ de ruines entre le verre, le fer, l'électroménager calciné... Tous ces éléments qui donnent une autre dimension au temps.
Le sablier s'écoule douloureusement toujours, dans un ballet d'experts et d'assureurs. Si, après le découragement, on a retrouvé de la sève, il y a des questions en rafale avant d'entamer la dépollution du site et espérer une renaissance. Très lointaine pour l'heure, même si la Ville a arpenté les terres brûlées, lancée "dans la première étape du diagnostic et de l'inventaire sur le terrain qui durera jusqu'à la fin septembre, dit le maire Gaby Charroux, avec le soutien de l'Office national des forêts, la Métropole ou les deux sociétés de chasse de Martigues, avant la 2e phase : enlever les bois brûlés avant les premiers réensemencements et l'opération de reboisement qui durera une dizaine d'années". Il faudra du temps pour tout cicatriser. "On a perdu presque 3 semaines déjà. Si on veut renaître de nos cendres, revivre l'année prochaine, même partiellement, il n'y a plus de temps à perdre, implore le patron du camping. Je n'ai plus rien : tout est à refaire. Il faut tout envoyer à la décharge. Il faut dépolluer. Gratter sur 5 ou 6 centimètres avec tout ce qui a fondu". Dans chaque équation, la question du coût. "On nous a promis une aide à la décharge, on espère. Si on n'a pas ce coup de pouce des 'déballes' déjà, on ne s'en sortira pas. Vous vous rendez compte le nombre de camions pour évacuer tout ça ?"
La crainte d'une double peine en filigrane, au-delà d'une reconstruction majuscule. "Il y a un travail de titan. 175 emplacements. Tous les arbres sont à couper, à arracher. Et puis quid des terrains de particulier, ces deux maisons, ça ne peut rester dans l'environnement. Est-ce que les propriétaires auront les moyens de reconstruire ?"
Les questions reviennent en boucle. On tente quelques plans. "15 jours à 3 semaines pour évacuer toute la ferraille", estime-t-on certes, mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Tous ces arbres justement, ces squelettes de bois... "Il faut tous les faire tomber. On ne pourra même pas les dessoucher, mais les couper à ras sous peine de détruire tous les réseaux en sous-sol. À chaque bungalow, c'est eau, électricité et évacuation".
Raser pour reconstruire. Replanter. "Le volet paysager sera un énorme budget", sait le patron. Face à des pins de plusieurs décennies, le défi est colossal pour reverdir. Et pour faire de l'ombre, pas besoin de faire un dessin, il ne faut pas planter des pâquerettes... En attendant, au bout de l'incendie, "c'est 9 personnes au chômage". Une secrétaire est là pour accueillir les assureurs ; chaque matin "le mal au coeur". Tous hors du temps d'avant d'un camping d'ordinaire ouvert toute l'année. Trimballant avec eux l'espoir d'une nouvelle ère. Avec des "si" en rafale. "Si l'administration ne nous ralentit pas... Si on ne nous harcèle pas avec des règles encore plus drastiques d'évacuation de secours", implore Frédéric Pappalardo. Un espoir en forme de prière au-delà d'une preuve : "Les normes qui avaient été mises en place pour l'évacuation ont bien fonctionné dans les campings. On a évacué 1 200 personnes, il n'y a pas eu un blessé". Un soulagement pour avoir le coeur à repartir de zéro. "Essayer de recommencer à travailler. Même partiellement". Pour panser un jour les plaies et retirer toutes les cicatrices...
Après la boule de feu... Des leçons à tirer
En longeant cette D49, oscillant entre zone sinistrée et miraculée, on ne soupçonne pas vraiment l'ampleur des dégâts et le passage du feu de l'intérieur. Il faut rentrer au cœur, derrière ces maisons sauvées par les pompiers. Dans cette allée des Vergers, derrière des havres de paix, on est presque estomaqué. Ici, comme un passage d'un chaos masqué. Ou presque. Un couloir sournois, presque surréaliste. Comme un coup de foudre (le mauvais) qui a traversé de part en part le lotissement et les maisons. Et des souvenirs affreux. "C'était une torche, une boule de feu", rembobine Jean-Claude. Des feux, avec son voisin Marius, ils en ont connu sur La Couronne. "Mais pas de cette vigueur". Si ces deux jardins, avec le soutien des services des encombrants municipaux, ont été nettoyés depuis ce 4 août de malheur ici, le traumatisme est intact.
Dans la cour de la propriété voisine encore la carcasse d'une Golf calcinée. Dans cette propriété, toute l'allée, porte les stigmates de l'apocalypse. Des squelettes de troènes, une rangée de noir et de désolation en face d'une bâtisse léchée par les flammes. Les volets de bois sont rongés ; les gouttières en zinc sont en lambeaux, la cuisine d'été est comme désossée, avec ces lattes d'aluminium laissant deviner la véranda, déformée par la température extrême. "Les experts sont passés. On attend maintenant les résultats des assurances et les indemnisations..."
Coup de chaud sur le réseau, quand Enedis envoie du 380 volts au lieu du 220...
On fait contre mauvaise fortune bon cœur, relative après une peur bleue. "On s'est réfugié dans la piscine. On était 4 au milieu des bouteilles de butane. C'est fou comme ça flotte dans l'eau", sourit Marius. Dans ce tour du propriétaire, vraiment le sentiment que tout a tenu à un fil ou à rien. Devant les oliviers, un espoir. "Ils ne meurent jamais. Ils repartiront...", se persuade Rosette. Marius fait la moue. "Peut-être, mais on n'est pas près d'avoir de l'huile d'olive..." Un ton pagnolesque après le retour d'un enfer. Et d'avaler des couleuvres. "Avec l'incendie, il y a eu une coupure d'électricité. Quand Enedis est venu, il y a eu une erreur dans le raccordement. Ils ont mis du 380 volts à la place du 220". Un coup fatal pour son lave-linge grillé. La double peine pour Jean-Claude, dont le jardin a été défiguré par les flammes, avec ces immenses pins parasols agissant comme des gâchettes. "Il y a tout qui pétait. C'était une catastrophe. J'ai perdu une voiture et une remorque calcinées". Le coin d'été a été comme rasé, avec un sol portant les stigmates des plastiques fondus. "Ce pin a frôlé la correctionnelle, j'espère le sauver. Je l'ai trouvé il y a 45 ans en désherbant". De l'autre côté, les deux autres pins sont en revanche programmés à l'abattage, trop noircis...
Sur la table, la douloureuse : "Un devis de 3 600 € pour l'abattage des deux pins ; 1 800€ pour la taille des oliviers... Ça fait peur tout ça ; ça fait mal, mais ce qui fait le plus mal ce sont les aberrations, la course aux assurances...", regrette Jean-Claude. La lettre d'Enedis ne passe pas, justifiant "une responsabilité qui ne peut être engagée" dans une histoire technique d'un "branchement monophasé". "Ils font une erreur et c'est limite de ma faute", peste Jean-Claude qui, pour éviter de broyer du noir, vient de monter une nouvelle palissade. En tapant dans sa retraite, pas dans le tiroir-caisse des assurances encore... "Bientôt, ce sera tout neuf, tente de relativiser Marius. Il reste moi qui suis plus tout neuf". Un sourire dans l'autre réalité. Après le feu, le combat est tout sauf fini... Un répit dans une prière aussi pour dire "plus jamais ça !" "Il faut tirer les leçons, clame Jean-Pierre, faire la guerre pour le débroussaillement ion). Et quand on voit les pompiers avoir toutes les peines du monde pour entrer dans des allées trop étroites. On sait où ça a péché... On sait comment faire pour que ça ne se reproduise plus."
La vie à la ferme reprend doucement
Paul et son ami Ugo prennent toutes les mesures pour commander un nouveau système d'irrigation dans les serres qui ont brûlé le 4 août dernier.
De part et d'autre de la route de La Couronne, le terrible incendie du 4 août a laissé derrière lui un paysage noirci, désolant. La micro ferme de Paul Leynand se trouvait pile sur son passage. Près de soixante-dix oliviers et une vingtaine d'arbres fruitiers ont brûlé, 3 500 euros de tuyaux et 1 000 euros de bâches ont complètement fondu... Le bilan est lourd, mais Paul, épaulé au quotidien par un grand nombre d'amis, reprend le travail avec motivation.
"Le moral y est !"
"On est surtout triste pour la biodiversité et triste de voir que tout ce qu'on a accompli est détruit, mais on n'a pas de doute sur le fait qu'on va redémarrer et s'en sortir, explique le paysan. D'ailleurs, le lendemain des feux, on était déjà sur place avec des amis pour travailler." Paul Leynand est bien entouré : tous les jours, deux ou trois amis lui donnent un coup de main que ce soit pour nettoyer le terrain, jeter le matériel brûlé ou lui donner des arbustes à replanter. Ce jour-là, c'est son ami Ugo qui est venu pour réaliser toutes les mesures nécessaires pour refaire l'intégralité du système d'irrigation des serres. Une aide bienvenue pour cet amoureux de la nature qui travaille normalement seul dans sa micro ferme biologique et zéro déchets (il utilise de l'engrais organique : du fumier récupéré dans des centres équestres et les fientes de ses poules).
Paul était dans l’événementiel avant de devenir maraîcher bio. À la recherche d'une nouvelle hygiène de vie et face à un besoin de reconnexion à la nature, il s'est reconverti professionnellement. Avec son épouse Prisca, ils ont acheté une parcelle d'un hectare et y ont installé leur ferme en avril 2019.
Avant l'incendie, il y faisait pousser, entre autres, des abricots, des figues, des poires, des cerises mais aussi des agrumes étonnants et rarissimes qu'il a réussi à se procurer par le bouche-à-oreille et échange entre amis passionnés: des citrons caviar, des oranges de quatre saisons, ou encore des poires du commandeur, qui sont en fait d'étranges citrons en forme de poire. Malheureusement tout a été détruit. Et coup du sort : "nous étions assurés au niveau corporel mais pas encore matériel. On avait justement rendez-vous le jeudi pour y remédier, mais l'incendie a eu lieu le mardi...", raconte Paul quelque peu désabusé.
Pourtant, il garde le sourire. "Le moral y est ! lance-t-il entre deux plateaux de semis. Là on prépare l'automne et l'hiver. J'attends de replanter les semis et puis d'ici un ou deux mois on pourra commencer à vendre les salades." Oui, déjà ! Paul n'a pas perdu de temps, il a su rebondir. Entre deux pins roussis par le feu, on peut voir plusieurs lignes de pousses de mâche et de radis. Pendant le confinement il avait mis en place un système de livraison à domicile qu'il pourrait alors reprendre. Sinon la vente se fait directement à la ferme, sur la route de la Couronne dans le quartier Saint-Pierre, Saint-Julien.
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