· 23/05/2022 À 07H00
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"La
situation aux urgences de Martigues est inquiétante".
Entretien avec Stéphane Luigi, urgentiste
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"La situation
aux urgences de Martigues est inquiétante". Entretien avec Stéphane Luigi,
urgentiste
c. lips
Alors que certains services des urgences
sont contraints de fermer, faute de médecins et de personnel soignants, comme à
Istres, ou Arles dernièrement, Stéphane Luigi, urgentiste pendant 35 ans,
ancien chef de service et aujourd'hui président de la Commission médicale
d'établissement de l'hôpital de Martigues a accordé un entretien à Maritima
Certains services des urgences ferment
dans l’hexagone et aussi dans la région. Qu’en est-il à l’hôpital de
Martigues ?
La
situation est « alertante » à Martigues. On est à l’heure actuelle en
déficit d’effectifs, ça atteint les 40% d’effectifs que nous devrions avoir,
avec déjà des tableaux de garde avec des médecins en moins. Cela génère
beaucoup de difficultés, pour les patients et pour les soignants. Très
inquiétant pour l’été qui vient pour la permanence des soins et pour le
maintien de l’activité du Smur.
Vous manquez de médecins ?
D’infirmières ?
Ce dont
on manque le plus, ce sont les médecins. Les solutions qui ont été trouvées
momentanément c’est de faire appel à l’intérim. On a des médecins intérimaires
quasiment tous les jours. La deuxième solution, c’est de travailler avec moins
de médecins. Avec toutes les conséquences que ça va avoir, de délais d’attente
et de mauvaises conditions d’accueil pour les patients et de mauvaises
conditions de travail pour les personnels. Pour les infirmières et les
médecins, c’est pareil, le manque est peut-être moins criant, mais c’est la
même problématique. Dans tout ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait
des fuites de personnel. Personne n’est maso. Les gens s’en vont.
La question des salaires est-elle
centrale ? Si l’on prend l’exemple des infirmières, leur salaire arrive au
18ème rang des pays de l’OCDE…
Ce
n’est pas reluisant pour un système de santé qui est censé être performant. Ce
qui est le cas, grâce à la sécurité sociale et à la qualité des professionnels.
Donc il faut protéger les deux. Le salaire des soignants ne serait pas central
si les conditions de travail étaient meilleures. Il y aurait moins de
revendications salariales. Il y a eu des efforts faits dans le Ségur de la
santé. Ce qui a été accordé, on le prend. Mais on est tellement en-dessous que
ça ne suffit pas pour motiver les gens. Pour cet été, pour les mois qui
viennent, il va évidemment falloir faire des efforts, sinon les personnels ne
viendront pas travailler, ou ne feront pas d’heures supplémentaires et les
intérimaires non plus.
La situation est-elle en train de
s’aggraver ?
Oui,
tout à fait, comme à l’échelon national. On a aujourd’hui sur notre territoire
de 40 à 50% de postes vacants. C’est une dynamique inquiétante, qui n’est pas
favorable à l’attractivité du métier, à l’hôpital en général et aux urgences en
particulier. Je ne sais pas comment ça va évoluer. On a une situation de crise
réelle pour cet été. Il y a des services qui ferment la nuit, comme le CHU de
Bordeaux. Sur notre territoire, l’hôpital d’Aix a dû fermer des lignes de Smur,
les hôpitaux de Draguignan, de Hyères et Cavaillon ferment la nuit. À
Martigues, il n’est pas exclu que ça arrive parce qu’on a des problèmes
d’attractivité et de fidélisation. Les conditions de travail étant telles que
les médecins changent d’activité. Ça va aller de mal en pis.
L’exclusion des soignants non vaccinés
contre le covid pèse-t-elle dans ce déficit d’effectif ?
Franchement,
ce n’est pas le sujet car la proportion de personnels exclus pour cette
raison-là est minime. On peut discuter du principe. Est-ce qu’il fallait le
faire ou pas ? Mais ce n’est pas ça qui entache le fonctionnement de
l’hôpital. Les difficultés que vit l’hôpital de datent pas d’aujourd’hui, même
si elles ne font que s’accentuer.
Comment en est-on arrivé à cette
situation ?
C’est
le résultat d’une vision purement financière du fonctionnement du système de
santé. Nous avons des modes de financement et de management basés sur les
actes. On regarde, dans le fonctionnement de l’hôpital, ceux qui sont cotés et
rémunérés. On donne des notes aux hôpitaux en fonction de ces normes-là. Or ces
normes ne tiennent pas compte du temps qu’on passe auprès du patient pour lui
parler, l’aider à faire sa toilette, manger. Le temps qu’on passe avec les
familles, au téléphone pour tenter de trouver des places, tout ceci n’est pas
coté. Aujourd’hui on doit faire les actes qui rapportent. Les critères de
qualité ne sont pas : est-ce que vous soignez bien, est-ce que vous
discutez avec les patients, est-ce que vous faites preuve d’humanité ? Il y a
de quoi être démotivé. Il faudrait qu’on regarde combien de temps les gens
passent sur les brancards, combien de temps ils attendent pour être vus,
hospitalisés et à ce moment j’admettrais qu’on parle de qualité. C’est ce qu’on
appelle la perte de sens. Le sens de mon travail, c’est l’humanité. Aidez-moi à
ce qu’on reçoive les malades dans de bonnes conditions. À ce moment-là on
pourra parler de qualité. Elle est là l’erreur. On a une vision purement
financière de l’hôpital, où on a diminué les soignants, fermé des lits et
diminué les coûts alors que les besoins augmentent. À Martigues, on a perdu des
lits d’hospitalisation conventionnelle, l’équivalent d’un étage et demi, alors
que les urgences en 35 ans sont passées de 14 000 passages par an à
48 000.
Quelles solutions, quelles mesures
pourrait-on mettre en place rapidement ?
Pour
les mois qui viennent, ça va être très compliqué. Il faut revaloriser les
gardes et les heures supplémentaires pour que les personnels en place puissent
contribuer à faire davantage. Le deuxième sujet est l’échelon territorial. Sur
le territoire de Martigues, nous avons deux CPTS (communauté professionnelle
territoriale de santé) avec lesquelles nous avons de très bons rapports. La
difficulté est de pouvoir assurer la permanence de soins la nuit. On manque
d’effectifs. Les médecins généralistes, il n’y en a plus énormément et il faut
qu’ils assurent le suivi des maladies chroniques. Et il ne s’agit pas d’opposer
la médecine hospitalière et la médecine libérale. Ensemble nous concourrons à
couvrir les besoins de santé. Pour assurer la permanence des soins, il faut
qu’on soit plus nombreux.
Donc il faut revoir encore le numerus
clausus ?
Évidemment
le numérus clausus qui a baissé depuis plus de 20 ans fait qu’à l’heure
actuelle la démographie médicale va encore chuter jusqu’en 2030. Et peut-être
que ce sera pire. On n’est pas encore dans le creux de la vague. La situation
va empirer. Il est certain qu’il va falloir que médecine hospitalière et
libérale discutent pour assurer au mieux la permanence des soins. Mais dans ce
contexte et avec la démographie médicale, ça va être extrêmement compliqué.
Propos recueillis par Caroline Lips
Photo
François Déléna
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