Martigues :
Pollution, batailles sur tous les fronts
Durant une même soirée à Fos, le
dispositif Réponses tirait le bilan de ses actions, pendant que les avocates de
l'association ADPLGF annonçaient un nouveau dépôt de plainte contre l'État.
Points d'étape d'une lutte pour améliorer la qualité de l'air
Par Pascal Stella
. PHOTOS
P.S.
Plainte
contre X au pénal, plainte au civil et maintenant plainte contre l'État... La
pollution et ses effets sur la santé sont plus que jamais le combat de
l'association ADPLGF, avec son président Daniel Moutet et ses trois avocates
Ils ne le savaient pas encore ce mercredi-là, soir d'une double réunion à
Fos-sur-Mer, "capitale de la fronde". Mais c'est assurément un
symbole d'une nouvelle ère en marche. Une sanction (ou une victoire selon où on
se place) à la haute valeur symbolique quand le tribunal de grande instance
d'Aix-en-Provence a condamné ArcelorMittal à verser 30 000 € de
dommages et intérêts à France Nature Environnement. Un géant de l'acier reconnu
coupable d'avoir enfreint la loi sur les émissions de polluants. Le message
d'une préoccupation grandissante autour des questions environnementales et
d'une pollution est qui plus que jamais une bataille vers les tribunaux. Pour
faire respecter la réglementation et faire reconnaître que des riverains "ne peuvent
pas vivre comme tout le monde", clame Julie Andreu, l'avocate
spécialisée dans les questions de santé et d'environnement, à l'heure de lancer
une plainte contre l'État pour dénoncer une "carence fautive dans son
rôle de régulateur et de contrôleur".
Un Golfe de Fos et
au-delà, tout un territoire malade de sa pollution. Une image méchamment écornée
dans les nébuleuses et les fumées ; des incidents ou torchages parfois. Après
les premières alertes, les premiers pavés dans la mare, l'étude Fos-Epseal en
étendard, révélant en janvier 2017 que les habitants les plus proches de
la zone industrielle souffrent davantage d'asthme, de diabète ou de cancers que
la population française, le temps de l'action sur plusieurs fronts. En tête de
gondole, une volonté de RÉduire les POllutioNs en Santé Environnement,
l'acronyme du dispositif "Réponses", lancé depuis trois ans avec un
objectif d'impulser de nouvelles actions pour préserver la qualité de l'air et
lutter contre la pollution. Des petits pas vers un monde meilleur espéré dans
une prise de conscience collective jusqu'aux industriels, il ne faut pas l'occulter,
insistant sur leurs "investissements pour continuer à s'améliorer"
et "une meilleure protection de l'environnement". "On
entend qu'il va y avoir l'acier vert, mais on n'y est pas encore, titille
Daniel Moutet, en tête de cordée de trois actions en justice pointant du doigt
des industriels. "Les projets de filtration c'est bien beau mais on n'y
est pas encore il reste des questions en suspens", surenchérit-il
dans un point d'étape sur les actions en justice. Trois plaintes, deux réunions
et deux ambiances...
Immersion dans ces deux
rendez-vous - avec une concomitance mal réglée quand même soit dit en passant -
pour implorer l'intransigeance et améliorer la qualité de l'air.
Trois actions en justice "pour
améliorer vos conditions de vie"
Si le cadre est feutré
dans les moelleux fauteuils rouges du théâtre de Fos, le sujet est grave. Un
long combat en cours, parti le 8 novembre 2018 officiellement devant
le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, quand près de 200 habitants
de Fos et du pourtour de l'étang, inquiets des dangers de la pollution
industrielle pour leur santé, ont porté plainte contre X pour mise en danger
délibérée de la vie d'autrui. Un premier acte qui fait des petits dans un temps
judiciaire qui s'annonce parfois long, pour le pénal surtout, mais qui en vaut
la chandelle, paroles d'avocats : "On a des éléments qui
justifient cette action", clament-ils. Le nombre fait la
force, on ne se serait pas engagé si on n'avait pas des éléments
probants."
Même si, ce soir-là,
après les précédentes levées plus "cotées", Daniel Moutet faisait la
moue pour cette nouvelle réunion publique, quelque peu évaporé dans les vapeurs
de l'été. "Je suis peiné de voir si peu de monde", glissera le
lanceur d'alerte d'ADPLGF, tête de proue de cette fronde contre la pollution
avec Julie Andreu, l'une des avocates des plaignants, spécialisée dans les
questions de santé et d'environnement. Mais il y a quand même du lourd sur la
table. Des gens de Fos, de Martigues à l'image de Benoît qui dit qu'il a
"une vue imprenable sur le site de Lavéra", empilant les
photos depuis des mois pour nourrir les dossiers et les arguments du cabinet
TTLA de Marseille avec Sophie Bourges et Héloïse Gusti, les autres avocates en
renfort.
Et aussi
Martigues : les torchages, le nouveau combat de Daniel
Moutet
Plusieurs années à
brosser ce tableau noir, après avoir "étudié les dépassements des
normes des industriels" d'après les documents transmis par la Dréal et
"répondre aux problématiques de santé et d'environnement avec des
actions en justice sur trois temps", rembobine Julie
Andreu. C'est la fin du silence ! On a entendu vos craintes légitimes
pour mettre à mal cette tendance à polluer en toute impunité. On n'accepte
plus. On ne se tait plus, on veut faire bouger pour améliorer vos conditions de
vie", harangue l'avocate. Une plainte contre X d'abord "avec
194 plaignants, sept associations et un syndicat. L'affaire est
instruite par le pôle santé publique du parquet de Marseille. Le procureur a
transmis à une juge d'instruction, complète Julie Andreu dans une procédure
de 5 à 8 ans minimum et ce lourd dossier, désormais frappé du secret de
l'instruction. Mais "une plainte qui fait son chemin sur fond
d'enquêtes sur les responsabilités" avec en ligne de mire
commissions rogatoires, auditions par les services de gendarmerie qui
permettront de caractériser (ou non si la juge ordonne un non-lieu) les
infractions. "Les éléments sont là. C'est un premier verrou qui a
sauté. L'espoir d'un gros procès, le premier au pénal concernant une pollution
due à des activités industrielles devant le tribunal correctionnel", espère
Julie Andreu.
Une plainte pas fermée
avec toujours la possibilité de se constituer partie civile. "Plus
vous serez nombreux, plus on sera fort" rappelle l'avocate, en
rappelant une deuxième action en cours depuis octobre 2019. Là, ce sont 14
habitants de Fos et Martigues qui ont décidé d'assigner ArcelorMittal, Dépôts
pétroliers de Fos (DPF), Esso Raffinage et Kem One devant le juge civil pour
"troubles anormaux du voisinage". "Depuis un an, une bataille
d'arguments mais une temporalité plus courte, avec l'espoir des premières
assignations fin décembre ou début janvier 2022. Avec un élément nouveau",
annonce Julie Andreu. Une course contre la montre pour déposer de nouveaux
dossiers et "une prescription en janvier 2022, partie sur la
référence de l'étude Fos-Epseal en janvier 2017. On a un délai de
5 ans pour agir. Après janvier, il sera trop tard" au sujet
d'une plainte à double détente pour demander "de respecter la
norme mais aussi de réclamer des indemnités pour le préjudice".
Enfin, cette réunion a
été l'occasion d'ouvrir officiellement la 3e étape avec une action devant le
tribunal administratif contre l'État cette fois, dont les futurs plaignants,
via l'association ADPLGF, entendront dénoncer une "carence fautive
dans son rôle de régulateur et de contrôleur", en visant "le
préfet qui n'a pas fait assez pour enjoindre les entreprises à respecter la
réglementation et protéger". Des "sacrifiés de la
pollution" plus que jamais vent debout "pour pousser les
autorités à prendre les choses en main et apporter des réponses", dira
le maire de Fos, Jean Hetsch, "pleinement derrière vous", dans
un cri du coeur contre "les lenteurs des autorités face aux
industriels" en rappelant cette phrase de René Raimondi, sur
"des industries qui nous font vivre certes mais qui ne doivent pas nous
faire mourir", entre autres appels d'"un trafic routier
qui doit être revu" implore le maire. "Le but n'est
pas de fermer les usines, juste privilégier la santé, vous avez le droit de vie
même si on habite à côté d'activités industrielles, ponctue Julie
Andreu Le but est de faire respecter la réglementation ; de prévenir
plutôt que réparer."
"Ce qui m'anime
ce sont nos enfants, c'est ça qui me fait me battre, conclut Daniel
Moutet qui appuie sur la corde sensible, rappelant que "les trois plaintes
peuvent être cumulatives", en souvenir de cet enfant de 3 ans
qui a disparu d'un cancer, conclut-il. Nos actions sont pour
les générations à venir". Les révoltés de la pollution sont plus
que jamais dans la bataille
Les questionnaires pour
les plaintes peuvent être téléchargés via le site de l'Association de défense
et de protection du littoral du Golfe de Fos https://www.stop-pollution.fr/questionnaires-pour-les-plaintes-concernant-les-3-procedures/
Le dispositif "Réponses" unanimement salué
PHOTO E.G
C'est à l'ombre et dans l'ambiance bucolique des jardins de l'hôtel Ariane que le dispositif Réponses a fait un point d'étape. .
Trois ans après ses
débuts, le dispositif "Réponses" commence à porter ses fruits. C'est
ce qu'ont établi tous les participants à des ateliers et à un forum d'échanges
organisés mercredi dernier à Fos-sur-Mer. Porté par le secrétariat permanent
pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI) et sa déléguée générale
Gwenaëlle Hourdin, le dispositif, au-delà de ses actions, est désormais un
outil salué par les participants, parmi lesquels le nouveau sous-préfet
d'Istres Régis Passerieux. "Ce qui se fait ici est unique,
indiquait-il, et il faut en être conscient."
En mettant les diverses
parties prenantes autour de la table (Etat, collectivités, industriels,
associations), Réponses a d'abord permis de renouer le dialogue, même si
l'association ADPLGF a décidé de le quitter et de suivre une autre voie (lire
ci-dessus). D'autres ont choisi de rester, et participent au suivi des actions,
comme à la validation des fiches qui permettent d'en prendre connaissance. René
Tassy ("Eco-Relais") a ainsi évoqué le travail mené en compagnie
d'autres associatifs pour faire avancer les dossiers, et "servir
d'aiguillon quand il le faut".
À ce jour, en écoutant
les attentes de la population des 21 communes de l'arrondissement d'Istres, des
témoins rencontré sur le terrain, 120 actions ont été enclenchées. Les plus
emblématiques ? Les arrêtés préfectoraux pour mieux maîtriser les rejets de
composés organiques volatils (COV), "allô industrie", un système de
tweets reliés à un site internet permettant aux industriels de signaler un
incident, en amont comme en temps réel. Les intervenants ont aussi évoqué à Fos
la création décidée de l'observatoire des cancers, qui s'appuiera sir deux
comités, l'un composé d'experts scientifiques, quand l'autre sera chargé de
faire l'interface avec les élus. "Même avec le contexte sanitaire,
aucune action prévue n'a été abandonnée, même si certaines ont été retardées",
indiquait Marc Bayard, pour le Groupement maritime et industriel du golfe de
Fos (GMIF). Parmi ceux-ci, le boîtier "Diams", distribué par la
Métropole, le sera plutôt en septembre qu'en ce mois de juillet. Distribué
à 2 000 citoyens, il permettra à chacun de suivre son impact
environnemental.
Lauréat du "programme investissement d'avenir",
"Réponses" s'inscrit désormais dans une trajectoire pérenne. Au cours
de la dernière phase de rencontres sur le terrain, ce sont 1 007 personnes
qui se sont exprimées. "Nous souhaitons aussi faire le nécessaire pour
rencontrer des gens éloignés de ces problématiques, indiquait Gwenaëlle
Hourdin. Tout cela nous permettra de définir de nouvelles actions, à
l'automne, avant un nouveau bilan à la fin de l'année. " Même si
"Réponses" gagne encore à être connu, une donnée a surpris : "Lorsqu'on
demande, qui doit agir, là où on nous répondait 'l'État' en 2019 ; on nous
dit maintenant 'tout le monde'. Ce qui témoigne d'une prise de conscience
massive". Et de l'intérêt grandissant de la population pour les enjeux
liant santé et environnement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire