mardi 13 juillet 2021

Pollution, batailles sur tous les fronts

 

Martigues :

Pollution, batailles sur tous les fronts

Durant une même soirée à Fos, le dispositif Réponses tirait le bilan de ses actions, pendant que les avocates de l'association ADPLGF annonçaient un nouveau dépôt de plainte contre l'État. Points d'étape d'une lutte pour améliorer la qualité de l'air

Par Pascal Stella




. PHOTOS P.S.

Plainte contre X au pénal, plainte au civil et maintenant plainte contre l'État... La pollution et ses effets sur la santé sont plus que jamais le combat de l'association ADPLGF, avec son président Daniel Moutet et ses trois avocates

 

Ils ne le savaient pas encore ce mercredi-là, soir d'une double réunion à Fos-sur-Mer, "capitale de la fronde". Mais c'est assurément un symbole d'une nouvelle ère en marche. Une sanction (ou une victoire selon où on se place) à la haute valeur symbolique quand le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a condamné ArcelorMittal à verser 30 000 € de dommages et intérêts à France Nature Environnement. Un géant de l'acier reconnu coupable d'avoir enfreint la loi sur les émissions de polluants. Le message d'une préoccupation grandissante autour des questions environnementales et d'une pollution est qui plus que jamais une bataille vers les tribunaux. Pour faire respecter la réglementation et faire reconnaître que des riverains "ne peuvent pas vivre comme tout le monde", clame Julie Andreu, l'avocate spécialisée dans les questions de santé et d'environnement, à l'heure de lancer une plainte contre l'État pour dénoncer une "carence fautive dans son rôle de régulateur et de contrôleur".

Un Golfe de Fos et au-delà, tout un territoire malade de sa pollution. Une image méchamment écornée dans les nébuleuses et les fumées ; des incidents ou torchages parfois. Après les premières alertes, les premiers pavés dans la mare, l'étude Fos-Epseal en étendard, révélant en janvier 2017 que les habitants les plus proches de la zone industrielle souffrent davantage d'asthme, de diabète ou de cancers que la population française, le temps de l'action sur plusieurs fronts. En tête de gondole, une volonté de RÉduire les POllutioNs en Santé Environnement, l'acronyme du dispositif "Réponses", lancé depuis trois ans avec un objectif d'impulser de nouvelles actions pour préserver la qualité de l'air et lutter contre la pollution. Des petits pas vers un monde meilleur espéré dans une prise de conscience collective jusqu'aux industriels, il ne faut pas l'occulter, insistant sur leurs "investissements pour continuer à s'améliorer" et "une meilleure protection de l'environnement". "On entend qu'il va y avoir l'acier vert, mais on n'y est pas encore, titille Daniel Moutet, en tête de cordée de trois actions en justice pointant du doigt des industriels. "Les projets de filtration c'est bien beau mais on n'y est pas encore il reste des questions en suspens", surenchérit-il dans un point d'étape sur les actions en justice. Trois plaintes, deux réunions et deux ambiances...

Immersion dans ces deux rendez-vous - avec une concomitance mal réglée quand même soit dit en passant - pour implorer l'intransigeance et améliorer la qualité de l'air.

Trois actions en justice "pour améliorer vos conditions de vie"

Si le cadre est feutré dans les moelleux fauteuils rouges du théâtre de Fos, le sujet est grave. Un long combat en cours, parti le 8 novembre 2018 officiellement devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, quand près de 200 habitants de Fos et du pourtour de l'étang, inquiets des dangers de la pollution industrielle pour leur santé, ont porté plainte contre X pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui. Un premier acte qui fait des petits dans un temps judiciaire qui s'annonce parfois long, pour le pénal surtout, mais qui en vaut la chandelle, paroles d'avocats : "On a des éléments qui justifient cette action", clament-ils. Le nombre fait la force, on ne se serait pas engagé si on n'avait pas des éléments probants."

Même si, ce soir-là, après les précédentes levées plus "cotées", Daniel Moutet faisait la moue pour cette nouvelle réunion publique, quelque peu évaporé dans les vapeurs de l'été. "Je suis peiné de voir si peu de monde", glissera le lanceur d'alerte d'ADPLGF, tête de proue de cette fronde contre la pollution avec Julie Andreu, l'une des avocates des plaignants, spécialisée dans les questions de santé et d'environnement. Mais il y a quand même du lourd sur la table. Des gens de Fos, de Martigues à l'image de Benoît qui dit qu'il a "une vue imprenable sur le site de Lavéra", empilant les photos depuis des mois pour nourrir les dossiers et les arguments du cabinet TTLA de Marseille avec Sophie Bourges et Héloïse Gusti, les autres avocates en renfort.

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Plusieurs années à brosser ce tableau noir, après avoir "étudié les dépassements des normes des industriels" d'après les documents transmis par la Dréal et "répondre aux problématiques de santé et d'environnement avec des actions en justice sur trois temps", rembobine Julie Andreu. C'est la fin du silence ! On a entendu vos craintes légitimes pour mettre à mal cette tendance à polluer en toute impunité. On n'accepte plus. On ne se tait plus, on veut faire bouger pour améliorer vos conditions de vie", harangue l'avocate. Une plainte contre X d'abord "avec 194 plaignants, sept associations et un syndicatL'affaire est instruite par le pôle santé publique du parquet de Marseille. Le procureur a transmis à une juge d'instruction, complète Julie Andreu dans une procédure de 5 à 8 ans minimum et ce lourd dossier, désormais frappé du secret de l'instruction. Mais "une plainte qui fait son chemin sur fond d'enquêtes sur les responsabilités" avec en ligne de mire commissions rogatoires, auditions par les services de gendarmerie qui permettront de caractériser (ou non si la juge ordonne un non-lieu) les infractions. "Les éléments sont là. C'est un premier verrou qui a sauté. L'espoir d'un gros procès, le premier au pénal concernant une pollution due à des activités industrielles devant le tribunal correctionnel", espère Julie Andreu.

Une plainte pas fermée avec toujours la possibilité de se constituer partie civile. "Plus vous serez nombreux, plus on sera fort" rappelle l'avocate, en rappelant une deuxième action en cours depuis octobre 2019. Là, ce sont 14 habitants de Fos et Martigues qui ont décidé d'assigner ArcelorMittal, Dépôts pétroliers de Fos (DPF), Esso Raffinage et Kem One devant le juge civil pour "troubles anormaux du voisinage". "Depuis un an, une bataille d'arguments mais une temporalité plus courte, avec l'espoir des premières assignations fin décembre ou début janvier 2022. Avec un élément nouveau", annonce Julie Andreu. Une course contre la montre pour déposer de nouveaux dossiers et "une prescription en janvier 2022, partie sur la référence de l'étude Fos-Epseal en janvier 2017. On a un délai de 5 ans pour agir. Après janvier, il sera trop tard" au sujet d'une plainte à double détente pour demander "de respecter la norme mais aussi de réclamer des indemnités pour le préjudice".

Enfin, cette réunion a été l'occasion d'ouvrir officiellement la 3e étape avec une action devant le tribunal administratif contre l'État cette fois, dont les futurs plaignants, via l'association ADPLGF, entendront dénoncer une "carence fautive dans son rôle de régulateur et de contrôleur", en visant "le préfet qui n'a pas fait assez pour enjoindre les entreprises à respecter la réglementation et protéger". Des "sacrifiés de la pollution" plus que jamais vent debout "pour pousser les autorités à prendre les choses en main et apporter des réponses", dira le maire de Fos, Jean Hetsch, "pleinement derrière vous", dans un cri du coeur contre "les lenteurs des autorités face aux industriels" en rappelant cette phrase de René Raimondi, sur "des industries qui nous font vivre certes mais qui ne doivent pas nous faire mourir", entre autres appels d'"un trafic routier qui doit être revu" implore le maire. "Le but n'est pas de fermer les usines, juste privilégier la santé, vous avez le droit de vie même si on habite à côté d'activités industrielles, ponctue Julie Andreu Le but est de faire respecter la réglementation ; de prévenir plutôt que réparer."

"Ce qui m'anime ce sont nos enfants, c'est ça qui me fait me battre, conclut Daniel Moutet qui appuie sur la corde sensible, rappelant que "les trois plaintes peuvent être cumulatives", en souvenir de cet enfant de 3 ans qui a disparu d'un cancer, conclut-il. Nos actions sont pour les générations à venir". Les révoltés de la pollution sont plus que jamais dans la bataille

Les questionnaires pour les plaintes peuvent être téléchargés via le site de l'Association de défense et de protection du littoral du Golfe de Fos https://www.stop-pollution.fr/questionnaires-pour-les-plaintes-concernant-les-3-procedures/

Le dispositif "Réponses" unanimement salué  

PHOTO E.G

C'est à l'ombre et dans l'ambiance bucolique des jardins de l'hôtel Ariane que le dispositif Réponses a fait un point d'étape. .

Trois ans après ses débuts, le dispositif "Réponses" commence à porter ses fruits. C'est ce qu'ont établi tous les participants à des ateliers et à un forum d'échanges organisés mercredi dernier à Fos-sur-Mer. Porté par le secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI) et sa déléguée générale Gwenaëlle Hourdin, le dispositif, au-delà de ses actions, est désormais un outil salué par les participants, parmi lesquels le nouveau sous-préfet d'Istres Régis Passerieux. "Ce qui se fait ici est unique, indiquait-il, et il faut en être conscient."

En mettant les diverses parties prenantes autour de la table (Etat, collectivités, industriels, associations), Réponses a d'abord permis de renouer le dialogue, même si l'association ADPLGF a décidé de le quitter et de suivre une autre voie (lire ci-dessus). D'autres ont choisi de rester, et participent au suivi des actions, comme à la validation des fiches qui permettent d'en prendre connaissance. René Tassy ("Eco-Relais") a ainsi évoqué le travail mené en compagnie d'autres associatifs pour faire avancer les dossiers, et "servir d'aiguillon quand il le faut".

À ce jour, en écoutant les attentes de la population des 21 communes de l'arrondissement d'Istres, des témoins rencontré sur le terrain, 120 actions ont été enclenchées. Les plus emblématiques ? Les arrêtés préfectoraux pour mieux maîtriser les rejets de composés organiques volatils (COV), "allô industrie", un système de tweets reliés à un site internet permettant aux industriels de signaler un incident, en amont comme en temps réel. Les intervenants ont aussi évoqué à Fos la création décidée de l'observatoire des cancers, qui s'appuiera sir deux comités, l'un composé d'experts scientifiques, quand l'autre sera chargé de faire l'interface avec les élus. "Même avec le contexte sanitaire, aucune action prévue n'a été abandonnée, même si certaines ont été retardées", indiquait Marc Bayard, pour le Groupement maritime et industriel du golfe de Fos (GMIF). Parmi ceux-ci, le boîtier "Diams", distribué par la Métropole, le sera plutôt en septembre qu'en ce mois de juillet. Distribué à 2 000 citoyens, il permettra à chacun de suivre son impact environnemental.

Lauréat du "programme investissement d'avenir", "Réponses" s'inscrit désormais dans une trajectoire pérenne. Au cours de la dernière phase de rencontres sur le terrain, ce sont 1 007 personnes qui se sont exprimées. "Nous souhaitons aussi faire le nécessaire pour rencontrer des gens éloignés de ces problématiques, indiquait Gwenaëlle Hourdin. Tout cela nous permettra de définir de nouvelles actions, à l'automne, avant un nouveau bilan à la fin de l'année. " Même si "Réponses" gagne encore à être connu, une donnée a surpris : "Lorsqu'on demande, qui doit agir, là où on nous répondait 'l'État' en 2019 ; on nous dit maintenant 'tout le monde'. Ce qui témoigne d'une prise de conscience massive". Et de l'intérêt grandissant de la population pour les enjeux liant santé et environnement.

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